LE ROYAUME DE DIEU - par Henri Weber

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LE ROYAUME DE DIEU      

Henri Weber (février 2009)

 

 

Introduction

Henri Weber a été entouré d’amis et de bonnes relations. Certains étaient plus proches, en quelque sorte des disciples. Plus de 450 personnes recevaient par e-mail chaque semaine les homélies qu’il préparait. Il a publié sous la forme de livret quelques unes de ses expériences vécues et de ses pensées toutes orientées vers son centre d’intérêt principal, Jésus.

A son décès, un groupe de proches, Alice, Henriette, Marie-Madeleine, Suzanne, Albert, Jacques, Pol, Pierre et Pierre ont en quelque sorte hérité de ses archives informatiques. Ils ont imaginé publier une sélection des homélies d’Henri Weber sur les trois années liturgiques extraite des près de douze années retrouvées. Elles sont en cette fin 2019 sur le site www.henriweber.be visité plus de 250 000 fois les 3 dernières années et nous comptons garder le site ouvert encore quelques temps.

Henri Weber nous parlait de façon vivante de Jésus et mettait son message dans un contexte particulier : celui du « Royaume ».

Nous vous proposons ici, son document de travail qu’il utilisait pour animer les retraites. Cet outil est  un vrai cadeau, un beau cadeau qu’Henri nous a fait. Nous l’avons gardé dans sa forme originale ce qui ne facilite pas nécessairement la lecture.

Comme pour le site, toute reproduction du contenu est souhaitée à la seule condition de citer la source, c’est le principe du ‘Copyleft’ .

 L’équipe des publieurs

 


1 L'annonce du Royaume de Dieu.

Tout d'abord, une question de terminologie. Dans les évangiles, il y a plusieurs expressions équivalentes : Royaume de Dieu, Royaume des Cieux, Règne de Dieu, Règne des cieux. Il faut savoir que les Juifs, et Matthieu est Juif, évitaient d'utiliser le mot "Dieu" et le remplaçaient par des tournures comme "cieux" ou le Très-Haut ou Seigneur, ou encore comme "on" ("on" leur fera miséricorde pour Dieu leur fera miséricorde), comme aussi la voix passive (ils seront rassasiés pour Dieu les rassasiera). Quant aux mots Royaume ou Règne, ils traduisent un même mot grec et hébreu.

En Marc, la vie publique de Jésus commence par ce joyeux message. Il proclame : "Le temps est accompli, le Règne de Dieu s'est approché. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle." Mc 1, 15 - 15. Cette heureuse nouvelle, la "première annonce" est pour lui la partie essentielle de son message. Ainsi à ses disciples qui veulent le voir rester à Capharnaüm où des foules viennent le voir, il répond : "Allons ailleurs... que j'y proclame aussi la Bonne Nouvelle." Mc 1, 38.  Ou encore en Mt 4, 23 et à d'autres reprises : Puis parcourant toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple.

Cette Bonne Nouvelle il la proclame sans doute d'abord en Galilée et puis à Jérusalem : Jésus enseignait au peuple dans le temple et annonçait la Bonne Nouvelle. Lc 20, 1. Cette annonce est si importante que Jésus la confie à des disciples. Ainsi : Il les envoya proclamer le Règne de Dieu et soigner les maladies. Lc 9, 2. Voir encore Luc 9, 60 et 62. Annoncer le Règne de Dieu est premier ! Luc développe ce thème dans le fameux envoi en mission des 72 disciples en Lc 10, 1-11. Lisons ce passage.

Ne fait-il pas plutôt penser à un commencement, à des semailles? Tandis que la moisson (image biblique traditionnelle)…


1.1 L'envoi des 72 disciples.  Lc 10, 1-11

* v 1 : « Après cela, parmi les disciples le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. »

                Qu'est-ce qui apparaît d'abord ? C'est le Seigneur qui désigne les disciples et qui en désigne "72 autres". Le nombre 72 (ou 70), correspond au nombre des nations païennes selon Genèse 10. La mission de Jésus concernerait donc le monde, comme ce sera dit en  Lc 24, 47 et dans les Actes 1, 8. Il les envoie deux par deux. Le témoignage est plus fort, plus vrai, venant de petites communautés. Jésus envoie ces petites communautés devant lui, là où il devait aller lui-même, comme pour préparer sa venue. Voir Lc 9, 53 - 56.

* v 2 : « Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »

                Il est à signaler que Jésus parle de « moisson ». L'envoi des disciples et le jugement, à la fin des temps, (qui commence déjà aujourd’hui par l’accueil ou non du Règne qui se fait proche) évoque que les semailles ont déjà eu lieu. N’est-ce pas l’œuvre de l’Esprit Saint présent au cœur de chaque être humain ? 

Les ouvriers de cette moisson sont trop rares. Nulle part il n'est dit que ces ouvriers soient seulement les Douze ou les évêques, les prêtres. Non, il s'agit de disciples, c'est-à-dire d'hommes et de femmes que Jésus a invités à l'accompagner. Des « laïcs ». Et pour que davantage répondent à cet appel, il faut prier le maître.

* v 3 : « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. »

                Allez, leur dit Jésus.  Les disciples qu'il a autour de lui sont donc déjà de ces ouvriers attendus. Ils doivent savoir, comme l'indique Lc 9, 57 - 62, que leur mission sera périlleuse, qu'ils seront comme des agneaux au milieu des loups... 

* v 4 : « Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. »

                Le missionnaire du Royaume est appelé à vivre pauvre. Sans doute n'est-ce pas la pauvreté en elle-même qui importe mais le fait qu'une certaine précarité entraîne de vivre en dépendance d'autrui et donc d'entrer en relation. Ici en relation avec ceux qui les recevront. Il est souhaitable que le missionnaire ne soit pas autosuffisant mais qu'il dépende de ou soit en relation avec ceux qui l'accueillent. Que ceux-ci aussi aient un rôle à jouer dans cette mission. Voir v 7 et 8.

Ne pas échanger de salutations signifie sans doute que la mission est urgente.

* v 5 et 6 : « Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : “Paix à cette maison.”

S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. »

La mission a un aspect personnel : aller dans les "maisons" là où demeurent les familles, les personnes, et y souhaiter la paix ! Mais comme il s’agit de moissonner, cela  signifie faire remarquer, mettre en valeur les efforts de paix déjà existants. Mais aussi y participer et, si nécessaire, en créer de nouveaux. Un tel souhait est essentiel ! Car souhaiter la paix c'est la mettre en valeur, elle qui est le bien messianique par excellence et c’est aussi y participer. Le souhait de la paix, le ‘Shalom’, est présent dans chaque rencontre entre Juifs, aujourd'hui encore. L’essentiel est qu'elle soit proposée et accueillie en vérité. Sinon le souhait est vain, comme dit Jésus. Si la paix est accueillie et mise en pratique, c'est le signe que le Règne de Dieu est arrivé (v 9).

* v 7 : « Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. »

Comme dit plus haut il importe que le missionnaire dépende de ceux qui l'accueillent, qu'il y ait échange, relation, tout en ne cherchant pas l'accueil le plus confortable. C'est le sens probable de : Ne passez pas de maison en maison. 

* v 8 et 9 : « Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté.  Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.” »

La mission a aussi un aspect collectif : la ville, la société. Ici encore, le missionnaire doit accepter de dépendre (pauvreté) de qui l'accueille. L’objectif de la mission (moisson) dans la société est de mettre en valeur que « soigner les malades » (le verbe grec therapeuein ne signifie pas guérir mais soigner...), cela se passe déjà avant l’arrivée des disciples, que l’on est prêt à y  participer et si nécessaire créer du neuf.

Les soins. Chacun sait qu'il n'y a pas que des maladies physiques. Il y a aussi les maladies psychologiques, (appelées à l'époque "possessions"), des maladies morales, des maladies spirituelles et surtout des maladies sociales, comme inégalités, injustice, dictature, esclavage, exclusions, misère, etc. Aujourd'hui nous savons combien toutes les maladies sont interdépendantes. La mission concerne donc aussi des changements sociaux, des lois nouvelles, des politiques nouvelles, en mettant en valeur ce qui se fait déjà, en y collaborant et éventuellement en participant à créer ce qui serait encore nécessaire. 

Remarquons que ce n’est qu’après l’agir que vient la Parole, la "bonne nouvelle" : "Le Règne de Dieu est arrivé jusqu'à vous." Cette parole donne le sens profond de la paix et des soins. Si ceux-ci se réalisent, avec ou sans les disciples, c'est le signe que le Royaume des cieux se fait proche ici et maintenant. Un geste de paix ou de pardon, un sourire, un droit respecté, une bonne loi sociale votée, etc. etc. c'est chaque fois le signe du Règne de Dieu qui se fait proche ici, maintenant.  Aux disciples de le dire !

* v 10 et 11 : « Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.” »

            Jésus avait déjà envisagé la réaction de "loups". Comme dans les familles (v 6), un rejet peut se produire dans la société. La réaction que propose Jésus ne consiste pas à s'imposer par la force, voire par les armes mais à faire remarquer le rejet. Point !  Mettre la collectivité devant ses responsabilités. Pourtant ! Pourtant il faut le savoir : le Règne de Dieu est arrivé ! Quand même. Pas l'Église ! Le Règne de Dieu. Grâce aux efforts de soins, aux efforts de changement, aux efforts d'humanisation, d’où qu’ils viennent...


1.2  Quelques réflexions.

                1 Négativement. A aucun endroit dans ce discours de mission, il n'est question de créer une communauté chrétienne, ni de faire naître l'Église, ni de baptiser, ni de "convertir" si ce n'est convertir à des attitudes nouvelles pour un monde plus humain. 

                2  Positivement, il est question de mettre en valeur les efforts de paix et de soins, d'y contribuer, d’éventuellement créer du neuf. Cela veut dire mettre en valeur et contribuer à améliorer la vie, à titre personnel et à titre collectif, à humaniser, à entrer en relation. C'est vers cela, qui est le Règne de Dieu rendu visible sur cette terre, que doivent se concentrer les efforts des missionnaires. On est loin évidemment des missions du 19e siècle qui n'avaient comme objectif que de construire l'Église, baptiser un maximum de gens !

                3  On peut aller plus loin. Proposer la paix, soigner, cela  peut sous-entendre : mettre en évidence la mise en place de structures de paix et de soins. Mettre en évidence, contribuer ou si nécessaire donner vie à des traités de paix, des structures de santé, qui tiendront ce qu'elles tiendront, sachant qu'à cause des "loups" l'échec est toujours à envisager. Mais chaque fois que des efforts de paix et de soins ont eu lieu, le Royaume ou Dieu s’est manifesté...

Ce Royaume, qui commence ici-bas, est essentiellement éphémère, toujours à recommencer. Il est si fragile, il dépend tellement de la bonne volonté humaine. D'autant que les loups ne sont pas nécessairement les "autres", mais peut-être nous-mêmes, nos communautés...

NB : Mt 11, 12 (« Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. ») Depuis les jours de Jean Baptiste jusqu’à maintenant, le Royaume des cieux est violenté et les violents s’en emparent…

Plus Lc 16, 16 : « La Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean le Baptiste ; depuis lors, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun met toute sa force pour y entrer. ».                                                                                                     

                                              


2 Signes et importance de ce Royaume de Dieu .

2.1 Les Béatitudes.

Selon Matthieu 5, 3 - 5, le premier grand discours de Jésus, appelé le Sermon sur la montagne, commence par une proclamation de joie : Heureux les coeurs de pauvre, le Royaume de Dieu est à eux ! Jésus ne dit pas que ces pauvres sont dans l'Église. Ils sont dans le Royaume, ici, maintenant. Heureux aussi les doux, heureux les affligés. Il nous faut bien comprendre ces trois premières béatitudes que l'on retrouve d'ailleurs en Luc 6, 20 - 21. Pour moi, c'est une erreur d'en faire d'abord un discours moral que Jésus adresse aux disciples. Comme s'il disait : essayez de devenir pauvres, doux, affligés et vous serez récompensés. Il faut reconnaître qu'elles ont été souvent comprises ainsi.

Il me paraît bien plus juste d'y voir une exclamation de joie de Jésus. Ne vient-il pas d'annoncer que le Royaume de Dieu s'est approché? Et voilà qu'il le voit ! Il le voit se manifester sous ses yeux dans la vie de ces pauvres, de ces petits, de ces malmenés de Galilée, chez toutes ces personnes en situation de souffrance. Situation qu'évidemment ils n'ont pas cherchée et qui ne fait pas nécessairement d'eux des disciples ! Mais quelle chance pour eux ! La chance étant non pas d'être dans l'épreuve, évidemment, mais que leur épreuve les entraîne à chercher du secours et donc à entrer en relations personnelles avec d'autres, avec Dieu.

On comprend mieux alors les plaintes de Jésus en Lc 6, 24 -25. Hélas pour vous les riches, les repus, les rieurs ! Pourquoi hélas? Parce que leur situation leur fait croire que, pour être heureux, ils n'ont besoin ni de personne ni de Dieu. Ils n'ont pas de chance!

Et c'est pareil en Mt 5, 7 - 9. Ce qui fait la chance de ces miséricordieux, de ces purs, de ces artisans de paix c'est que ces qualités les poussent à entrer en relation, notamment avec ceux qui souffrent, et donc avec Dieu. Il me semble retrouver cela en Lc 16, 9 : "Eh bien, moi je vous le dis : faites-vous des amis avec l'Argent trompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles." L'importance d'être accueillis, d'être en relations ! D'autant que ces demeures éternelles ont déjà commencé. Le Royaume est déjà présent ici-bas...

Ce qui suit immédiatement, Mt 5, 13 - 16, peut, je crois, être considéré à nouveau comme motif d'une grande joie pour Jésus. Car Jésus ne dit pas : "devenez sel !" ni "devenez lumière !". Il dit : "Vous êtes !" Ceux-là même dont il est question dans les Béatitudes, les pauvres et ceux qui leur viennent en aide, manifestent le Royaume. Sans le savoir ! Comme en Mt 25, 31.

Plus loin, en Mt 6, 33 : aux disciples trop préoccupés de ce qu'ils mangeront  et de quoi ils se vêtiront, Jésus conseille : "cherchez d'abord le Royaume".

NB Le premier discours de Jésus en Luc, en 4, 16 - 21, ne parle pas explicitement du Royaume mais il le décrit : porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, proclamer aux captifs la libération, etc.  A nouveau aucune mention de l'Église ou de communautés chrétiennes.

2.2 L'universalisme des propos de Jésus

Nous voyons en effet que ces paroles de Jésus : "Cherchez d'abord le Royaume" dépassent le cadre d'un peuple, d'une Église. Comme bien évidemment la "règle d'or". Elle vise tout être humain. Cette "règle d'or" appartient d'ailleurs au trésor moral de l'humanité : "Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est la loi et les prophètes." Dans le monde entier, le Royaume n'affleure-t-il pas dès que ce principe est pris au sérieux?  De même le Mt 7, 24 : "tout homme" qui entend les paroles... 

A propos de l'universalisme de Jésus, il y a chez lui une évolution. En effet, au début, il donnait un conseil bien clair aux disciples envoyés en mission, comme en Mt 10, 5 - 7 : "Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues (= les brebis égarées car sans vrais pasteurs) de la maison d'Israël. En chemin proclamez que le Règne des cieux s'est approché." Sa rencontre avec la Cananéenne, en Mt 15, 21 - 28, semble avoir été pour beaucoup dans cette évolution...

Que faire pour entrer dans ce Royaume des cieux? En Mt 7, 21 - 23, Jésus le précise : Il ne suffit pas de me dire :<<Seigneur, Seigneur>> ! pour entrer dans le Royaume des cieux. Il faut faire la volonté de mon Père qui est dans les cieux." Et la suite doit évidemment faire réfléchir tout disciple, tout membre de l'Église : "Beaucoup me diront en ce jour-là (= au jour du jugement) : <<Seigneur, Seigneur ! n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé? En ton nom que nous avons chassé les démons? en ton nom que nous avons fait de nombreux miracles?>> Alors je leur déclarerai : <<Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité !>> Manifester le Royaume n'est donc pas nécessairement prophétiser, chasser les démons, faire des miracles, construire une église... Il s'agit d' "agir", "faire", "mettre en pratique" la volonté de Dieu, ou pour qui ne connaît pas Dieu : suivre sa conscience...

Un jour, les disciples en viennent à demander à Jésus, en Mt 18, 1 - 5, "Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux?" Nous connaissons la réponse : l'enfant. L'enfant, c'est-à-dire : le petit, le peu important, le pas grand chose!!! Dans ce chapitre 18, qui concerne  la vie en communautés chrétiennes, Jésus, qui s'adresse donc ici aux disciples, ajoute : "En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez pas et ne devenez comme les enfants, non, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le Royaume des cieux..." J'ajouterais : quelles que soient ses convictions, sa religion, etc. Tout enfant !

Enfin, pour terminer ce petit parcours sur le Sermon sur la montagne et Mt 18, il faut évidemment mentionner la prière de Jésus, en Mt 6, 9 - 13 : "Vous donc, priez ainsi : Notre Père céleste, fais-toi reconnaître comme Dieu, fais venir ton Règne, fais se réaliser ta volonté, sur la terre à l'image du ciel..."  " Fais venir ton Règne..."  Une fois de plus, notons que la prière de Jésus ne porte pas sur l'Église ou les communautés chrétiennes, sa prière porte sur le Royaume ou le Règne de Dieu qui est appelé à sans cesse advenir davantage, ici, maintenant...


3 Mais ce Royaume, ce Règne, c'est quoi finalement ?

Saint Matthieu réserve tout un chapitre, le chapitre 13, à 7 paraboles sur le Royaume des cieux. Il n'en donnera pas de définition mais il nous permettra, par des approches successives, d'en pressentir la réalité.

3.1 Les circonstances.

Il importe de nous rendre compte que ces sept paraboles sur le Royaume n'ont pas été rassemblées par saint Matthieu n'importe où dans son évangile si bien construit. En quelques mots, on pourrait dire ceci : voilà plusieurs mois que Jésus a commencé l'annonce de la bonne nouvelle, ce joyeux message que le Règne de Dieu s'est approché de tout être humain. D'emblée il a appelé quelques disciples à l'accompagner. Mais voilà que ses disciples (et peut-être Jésus lui-même !) se trouvent devant un fait incompréhensible : comment se fait-il que cette annonce, joyeuse et extraordinaire, faite par quelqu'un en qui ils pressentent un envoyé de Dieu, accompagnée de signes comme les guérisons, comment se fait-il donc que cette annonce ait si peu d'impact sur le peuple juif et même suscite dans le chef des responsables religieux des oppositions, qui vont grandissant?

Pour répondre à cette question, Jésus choisira le mode de la parabole. Évidemment un même questionnement touchera les premières communautés chrétiennes à cause des persécutions. Comment cela se fait-il ? Aujourd'hui, même question : pourquoi le Royaume avance-t-il si peu ? On pourrait dire que c'est dans ce contexte de questionnement qu'intervient ce chapitre. D'autres paraboles sur le Royaume viendront plus loin.

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3.2 C'est quoi une parabole?

*  Parabole traduit le mot hébreu "Mâchâl" qui désigne un enseignement sous forme de comparaisons. Comparaisons qui ne sont pas nécessairement éclairantes. Certaines sont même franchement énigmatiques. Il n'est jamais évident ni facile de parler de Dieu ou de son oeuvre. La parabole indique donc plutôt une piste où s'avancer en tâtonnant. Pour  qui veut bien.

Cette non-évidence de beaucoup de paraboles mais pas de toutes (ainsi Lc 11, 5 sur l'ami qui, de nuit, vient demander du pain...) peut provoquer deux réactions opposées : ou hausser les épaules, "ça n'a pas de sens !" ou susciter de l'intérêt, "au fond, qu'est-ce qu'il y a derrière cette histoire?" Jésus espère cette deuxième réaction car pour avancer dans ce domaine il importe d'avoir un coeur ouvert à la recherche.

* Une parabole n'est pas d'abord une idée, elle parle d'une réalité en donnant un chemin probable pour l'interpréter, pour en donner un sens. Peut-être ! Que ce soit un sens pour l'époque de Jésus, pour les premières communautés chrétiennes, pour notre époque, sens qui ne sera pas évident pour autant. Disons aussi que dans la plupart des paraboles, il n'y a pas à s'arrêter à chaque détail mais plutôt à chercher son sens global. Ce qu'on appelle "la pointe" de la parabole. Mais parfois, chaque détail porte.

* Ces paraboles restent actuelles car, aujourd'hui encore, qui n'est pas désarçonné par l'apparente inaction de Dieu en ce monde ? Surtout à cause de nos idées préconçues sur Dieu, idées fausses reçues du "petit catéchisme" ou d'ailleurs ! Ces paraboles casseront sans doute quelques-unes de ces idées !  Mais cela ne va pas de soi. Espérons quand même que l'expression "Royaume de Dieu" et ses équivalents auront un certain contenu pour nous après notre travail ...

3.3 Matthieu 13.

*  En son chapitre 13 donc, Matthieu a regroupé 7 paraboles sur le Royaume de Dieu que Jésus n’a pas dites à la suite l'une de l'autre. En voici les titres : l/ le semeur;  2/ l'ivraie;  3/ le grain de moutarde;  4/ le levain;  5/ le trésor;  6/ la perle;  7/ le filet. Marc en a réuni 5 en 4, 1 - 34 : le semeur, la lampe, la mesure, la semence qui pousse toute seule, le grain de moutarde. Chez Luc elles sont éparpillées. On voit déjà qu'il y a des paraboles particulières à un seul évangéliste.

Commençons donc par Matthieu 13. Trois remarques d'emblée. 

1/ Rien qu'à entendre le titre des paraboles, on remarque cette chose surprenante que pour parler de Dieu et de son Royaume, Jésus utilise des réalités toutes simples, de la vie courante. Qui, à l'époque, ne savait pas ce qu’était un semeur, une mauvaise herbe, un grain de moutarde, quelques grammes de levain, un filet de pêche ? Qui n'a jamais rêvé découvrir un trésor, une perle?

2/ Aucune de ces images n'est de soi "religieuse" ! Pourtant c'est dans la manière dont il va nous inviter à regarder ces réalités si simples que Jésus va nous faire pressentir ce qu'est le Royaume qui vient. Sauf si nos préjugés sur Dieu et sa toute-puissance nous imprègnent tellement qu'on n'y comprendra rien. Mettons-nous donc à l'école de Jésus.

3/ Quand nous écouterons ces paraboles, écoutons-les comme si c'était la première fois.  Cela est d'ailleurs vrai pour tous les passages d'évangile que nous connaissons ou plutôt que nous croyons connaître. Que de fois ne disons-nous pas : "Ah oui ! Je connais la suite !" Et nous nous fermons les oreilles et le coeur. Et nous manquons l'essentiel !

3.4  La parabole du semeur. Matthieu 13, 1 - 9. 

3.4.1  Au nom de Dieu, Jésus, car le semeur c'est très probablement lui, a pris l'initiative de venir, sans aucune condition, pour semer partout, à tout vent, la Parole, la "Bonne Nouvelle".  Le semeur sortit pour jeter sa semence.

 Négativement donc, cet ensemencement, ce Royaume n'est pas venu d'une initiative humaine. Ce n'est donc pas parce que des êtres humains ont préparé un bon sol que Dieu aurait envoyé Jésus semer sa parole. Si c'était ainsi, Jésus ne serait alors venu que pour une élite, les "meilleurs", les plus méritants, comme on nous l'a souvent présenté et comme beaucoup de religions le présentent. Non, la semence est jetée partout, en grande abondance, dans le champ et tellement souvent à côté ! 

3.4.2 Cette semence n'est pas jetée dans le seul champ, dans le peuple choisi, elle est jetée partout, de manière illimitée, même si cela a commencé quelque part.

3.4.3 Mais il y a des forces contraires à l'action de Dieu, des forces capables de faire obstacle à son projet sur le monde. Pour une réussite, que d'échecs ! Cela correspond au succès médiocre de l’accueil du Royaume.

3.4.4 Quand le sol est bon, la réussite est exceptionnelle. Du 3O, 60, 100 pour un grain, cela ne s'est jamais vu. Un bon épi contenait 7 à 8 grains. Aujourd’hui +/- 45 grains ! Jésus fait exprès d'exagérer. Il a ses raisons.  

3.4.5  Même si cette parabole contient une morale (importance d'être une bonne terre, d'accueillir le cadeau du semeur), elle n'est pas d'abord une morale. Elle est d'abord "bonne nouvelle" : Dieu a pris l'initiative de venir à la rencontre de l'humanité telle qu'elle est. Jésus précise d'ailleurs : "Entende qui a des oreilles !"

3.5 Pourquoi Jésus parle en paraboles. Matthieu 13, 10 - 17.

Jésus explique à ses disciples pourquoi il utilise les paraboles. Il s'agit en effet d'expliquer quelque chose qui ne va vraiment pas de soi : que le Royaume qu'il prêche a tant de mal à naître et grandir alors qu'il vient de Dieu. Pour entrer dans cette perspective d'un Dieu apparemment impuissant, il faut donc faire un effort, il faut vouloir comprendre. Alors seulement, il est possible d'aller plus loin. D'où cette parole curieuse : "car à celui qui a, il sera donné davantage mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré". Trop regardent sans regarder et entendent sans entendre ni comprendre. Trop ont des idées tellement arrêtées sur Dieu qu'ils ne pourront jamais les dépasser. Prenons un exemple. Si je me crois supérieur aux autres, je n'ai aucune raison de créer des relations. Ce n'est pas une faute, mais c'est dommage. Mais si je suis prêt à m'ouvrir à autrui, il se fera que j'y gagnerai énormément.

Aux v 14 et 15 il y a des paroles du prophète Isaïe (6, 9 - 10) qui ne sont pas tendres : Car le coeur de ce peuple s'est épaissi, ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouchés les yeux pour ne pas voir de leurs yeux, pour ne pas entendre de leurs oreilles, pour ne pas comprendre avec leur coeur, pour ne pas se convertir ..." Ils se sont donc fermés afin de ne rien entendre.  Comme dit le proverbe : "il n'y a pire sourd que celui qui ne veut point entendre". C'est un fait, certains ne veulent rien voir ni entendre, ils préfèrent surtout ne rien changer et donc se fermer. Il est évident que ce reproche de Jésus ne concerne pas que le peuple juif mais tout intégrisme et tout extrémisme.

Ajoutons une réflexion qui me paraît capitale : ce n'est pas parce que je me ferme à la Parole ou à la Bonne Nouvelle que je serai puni, damné. Il est simplement dommage de ne pas entrer dans le Royaume dès maintenant, ici-bas. Pour après, c'est l'affaire de Dieu ! La porte est étroite, dit Jésus.

Aux v 16 - 17,  une béatitude de plus : heureux vos yeux parce qu'ils voient, et vos oreilles parce qu'elles entendent.  Sous entendu : parce que vous êtes prêts à voir et entendre.  Parce que votre coeur y est disposé, parce que votre coeur n'est pas bloqué sur le passé !  Au fond, vous avez de la chance, leur dit Jésus.  Puisque votre coeur est ouvert à la bonne nouvelle, vous êtes gâtés par rapport aux prophètes et aux justes du premier Testament.  Vous êtes venus au bon moment.

Notons  qu'au verset 11, Jésus dit enfin que la parabole du semeur concerne le Royaume des cieux, ce qu'il n'avait pas encore dit.

                                                                                                                                                                             

3.6  L'interprétation de la parabole du semeur. Matthieu 13, 18 - 23 

Elle confirme ce que nous supposions :

* la semence c'est la parole de Jésus (la parole qu'est son action et que sont particulièrement ses guérisons) qui a été jetée partout, avec les résultats que l'on sait;

* des obstacles viennent du Malin (terre trop superficielle, préoccupation du monde, séduction des richesses) et nous y collaborons plus ou moins;

* ce monde est donc marqué par le mal, un mal incroyablement puissant, qui peut mettre en échec les forces du bien même venant de Dieu, mais ce mal n'est pas tout puissant : la Parole germera quand même ici ou là et produira un fruit merveilleux;

* une même conclusion : celui qui écoute et comprend la parole donne un fruit inimaginable.

NB Le "Malin"?  Pour Jésus, comme pour son temps, il y a un "adversaire" qui cherche à nuire aux êtres humains et à contrer l'oeuvre de Dieu. Les évangiles parlent souvent de "possédés". Possédés par qui ?  Par le "Malin"?  Toute la question est de savoir si cette "Force du Mal" ou ces "Forces du Mal" sont extérieures ou non à l'être humain. Une chose est patente : le mal est non seulement au coeur de chacun mais il le dépasse largement. Il suffit de mesurer l'ampleur du mal que chacun peut causer, même sans le vouloir, et l'ampleur bien plus forte du mal collectif, dans lequel l'humanité peut être plongée. Faut-il pour cela imaginer un "Être Mauvais" extérieur à nous?  L'Église dit "oui", d'autant que visiblement Jésus y croyait.

3.7  La parabole de l'ivraie, propre à Matthieu. Matthieu 13, 24 - 30  

Elle part de la vie quotidienne : qui n'a pas enragé contre les mauvaises herbes dans son jardin ou son potager surtout si elles ont été sciemment semées par un ennemi ? Au coeur du Royaume, il y a des ennemis comme cela ! Et il faut bien comprendre le point de départ : le Royaume n'est pas comparable à un homme qui... mais à ce qui se passe quand un homme, qui n'a semé que du bon grain, doit bien constater que...  

Dans la parabole du semeur, il y avait déjà des obstacles qui pouvaient empêcher le déploiement du Royaume. Ici, il y a un autre semeur, qui vient de l'extérieur, qui tente de faire échec au travail du premier en semant de l'ivraie (nom collectif qui désigne l'ensemble des mauvaises herbes). Le monde est donc le théâtre d'un conflit.

La  surprise des ouvriers devant la présence de l'ivraie là où le Seigneur n'a semé que du bon grain représente très bien la surprise des chrétiens devant le mal qui est présent même dans leur communauté, même dans leur Église, même en eux. Or le Messie, comme l'a présenté Jean Baptiste, devait totalement extirper le mal de ce monde et donc, bien sûr, des communautés issues de ce Messie. Et le Messie est venu !!!

Le propriétaire, le Seigneur, désigne le coupable : "un ennemi" qui sabote partout dans le monde l'oeuvre du Semeur. Ici encore, il n'est pas nécessaire de penser à un "Satan" extérieur à ce monde mais à ceux qui font le mal en ce monde, même au sein des  communautés chrétiennes. Et ils paraissent si puissants !!!  Réflexion des ouvriers, des disciples : il faut extirper l'ivraie avant qu'elle ne gagne encore du terrain ! Mais la réponse du Maître est catégorique. On voit qu'il est sûr de son affaire !  

L'enseignement est clair pour les disciples comme pour les communautés chrétiennes :

1/  il faut accepter que le mal soit présent au coeur de ce monde, en notre coeur, même dans des initiatives qui font surgir le Royaume et donc forcément aussi au coeur des communautés chrétiennes, au coeur de l'Église. Il n'y a pas d' "axe du mal" !

2/  Comme tout est mêlé inextricablement, en arrachant tout de suite le mal on risque de détruire le bien; 

3/ et même si nous en sommes aujourd'hui encore loin, lui sait que le bien triomphera de toute manière, un jour.

4/  il faut donc faire confiance à la justice du Maître (qui se caractérise par la patience - voir à ce propos Lc 13, 6 - 9 -); il sait ce qu'il fait et quand il le doit le faire. Surtout donc que personne ne se mêle de juger à sa place; ce sera nécessairement trop tôt et sujet à erreur. Pensons au : "Ne jugez pas", de Jésus, en Matthieu 7, 1;

Voilà un enseignement difficile à accepter par les Églises, par toute société. La tentation est si grande de condamner et même de rejeter les "déviants" en se considérant soi-même comme "juste". Pensons à cette formule de la 2e Croisade : "Dieu le veut". Pensons à l'Inquisition et à tant de bûchers. Un prêtre palestinien disait un jour : "Que de mal les hommes peuvent faire au nom d'un livre "sacré", le Coran ou la Bible "!

Cette parabole donne réponse aux questions provoquées par "l'impatience messianique".

1/ Le chrétien doit accepter que même si le Messie est déjà venu, notre monde est encore dominé par le Mal.

Et 2/ même si nous croyons que Dieu s'est fait proche et nous accompagne, il ne faut pas  vouloir tout de suite éliminer ce qui s'oppose au Royaume ou supposé tel. 

3.8  Matthieu 13, 31 à 32.  Le grain de moutarde. 

La formule qui introduit la parabole ne parle pas d'une graine de moutarde mais d'une graine de moutarde qu'un homme a semée. L'arbre à moutarde, le moutardier, peut atteindre 4 m. de haut. Mais pour la semence, dont il dit qu'elle est la plus petite de toutes, Jésus reprend une erreur de son temps (v 32). Cette semence n'est pas semée dans un potager mais dans un champ, c'est-à-dire qu'elle est comme perdue dans le monde.

L'insistance de Jésus porte donc sur la petitesse du point de départ. Voilà à quoi il convient de comparer le Royaume : à cette minuscule graine perdue dans un champ ! Cela répondait à une interrogation des disciples sur l'insignifiance de leur groupe. Mais, un jour, quand ? cette graine sera devenue très grande. Un jour, les oiseaux du ciel pourront y nicher (voir Éz 17, 23 : toutes les nations). Un jour ! Quand ? Où ? Nul ne sait.

3.9  Matthieu 13, 33.  Le levain. (Elle est propre à Matthieu)

Une fois de plus, le message est impossible à comprendre pour qui voit le Royaume comme nécessairement glorieux. Non, assure Jésus, comme le levain est caché dans près de 40 kilos de farine, ainsi le Royaume est caché dans l'immensité du monde. Que représente en effet l'action d'un prêcheur galiléen dans la petite Galilée ? Que représente un effort de justice dans mon quartier ? Comme la précédente, cette parabole veut donc rassurer. On ne voit toujours rien du Royaume ?  Attendez, vous verrez ! Il apparaît clairement ici encore que le Royaume ne se limite pas à l'Église. C'est "toute la masse", l'humanité entière, qui, un jour, se sera élevée.

Un étonnement : l'utilisation du levain comme élément positif.  Habituellement le levain, qui est du vieux pain fermenté, désigne dans la Bible les puissances du mal.  Ainsi le levain des pharisiens (Mt 16, 6).

3.10 Matthieu 13, 34 - 35.  A nouveau : pourquoi Jésus parle en paraboles.

"Tout cela", c-à-d l'enseignement sur le Royaume, est resté caché depuis la fondation du monde. Mais Jésus le "révèle" à ses auditeurs en paraboles. Comme souvent, Matthieu justifie l'attitude de Jésus par une citation du premier Testament (ps 78, 2).

3.11 Matthieu 13, 36 - 43.  Explication de la parabole de l'ivraie (propre à Matthieu)

La "maison" c'est le lieu où Jésus se retrouve seul avec ses disciples. C'est là qu'il leur explique. Sans doute chez Pierre. La "maison" c'est là où la communauté se retrouve et peut désigner aussi la communauté elle-même.

Il y a 7 définitions, chiffre cher au monde juif, du v 37 au v 39,

A propos des sujets du Royaume et des sujets du Malin, ne comprenons pas mal puisque tout est inextricablement mêlé. Les anges sont présentés comme les serviteurs du Fils de l'homme, lors du jugement final. Ils feront un grand nettoyage en chassant ceux qui causent le scandale et ceux qui commettent l'iniquité (Sophonie 1, 3;  ps 37, 1 et Malachie 4, 1 - 3), c'est-à-dire ceux qui transgressent la loi. Pour le scandale, voir Mt 5, 29 et 18, 8 : il s'agit surtout, je pense, des responsables de communautés, dont la conduite (souvent trop rigide ou légaliste) peut décourager les chrétiens à la foi peu solide, comme de chrétiens récemment convertis. 

La fournaise de feu : l'image vient de Daniel 3, 6. L'expression "pleurs et grincements de dents" revient souvent : 8, 12; 13, 50;  22, 13;  24, 51;  25, 30. Comment mieux exprimer le regret des « iniques » ? Par ailleurs, les justes ce sont ceux qui pratiquent ("faire") la loi de Dieu telle qu'elle est présentée par Jésus (9, 13;  13, 49; 23, 28; ...). Ce faisant, ils accomplissent le plan de Dieu sur eux. Ces justes brilleront (Daniel 12, 1 - 3; Malachie 4, 2) comme le soleil. L'éclat de Dieu se manifestera par leurs attitudes. On les retrouvera en Mt 25, 31. Ces menaces sont évidemment effrayantes. Je pense qu'elles veulent plutôt signifier la grande influence de nos actes sur l'état de notre monde. On peut l'humaniser ou le déshumaniser ! A nouveau : entende qui a des oreilles !

3.12 Matthieu 13, 44 - 46  Paraboles du trésor et de la perle.  (Propres à Matthieu)

Ces deux paraboles forment un tout. Elles ont en commun : 1/ les deux hommes vendent tout pour acheter le trésor qu'ils viennent de découvrir, 2/ il était "caché", 3/ la joie de l'un et l'autre. Ce qui est différent c'est qu'un seul a cherché.

Le Royaume est donc comparé à ce qui se passe quand un « homme » trouve un trésor ou une perle. Ce trésor est donc caché mais on peut le trouver, on peut "tomber dessus". Il est vrai que, à cause de l'insécurité ambiante - guerre, pillage -  les Juifs cachaient ce qu'ils possédaient par exemple dans un champ. Avec le risque d'oublier l'endroit !

L'insistance est grande : le dépouillement des deux hommes a lieu après leur découverte et non l'inverse. Même déroulement avec Zachée, en Luc 19, 1 et suivant. Et même si le marchand "cherche", c'est par hasard qu'il "tombe" sur une perle ! L'enseignement est simple : percevoir le Royaume dans ce monde procure la plus grande des joies.

3.13  Matthieu 13, 47 - 50.  Le filet. 

A lire : « Le royaume des Cieux est encore comparable à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons.  Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien.   Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes   et les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. ».  (Propre à Matthieu).

Par plus d'un côté, cette parabole comporte le même enseignement que celle de l'ivraie. Comme l'agriculture, la pêche était courante en Galilée mais, curieusement il n'y est pas question de pêcheurs car elle parle de ce qui se passera après, à la "fin du monde".

Le texte dit : comparable à un filet qui a été jeté dans la mer. La voix passive, comme le "on", peut désigner Dieu. La pêche est considérée comme accomplie. Les poissons sont, comme dans l'explication de la parabole de l'ivraie, "bons" ou "mauvais".  Il n'y a pas de milieu. Dans le premier Testament, il y a en effet des poissons "interdits" (Lévitique 11, 9 - 12 et Deutéronome 14, 9 s.). Les bons poissons sont recueillis et les mauvais sont rejetés à la mer (lieu des forces du mal). Ce tri sera fait par les anges, comme en Mt 13, 41 et 25, 31. Comme pour l'ivraie, il faut attendre la fin pour y voir clair.

3.14  Matthieu 13, 51 - 52.  Propre à Matthieu.

Jésus va conclure par une question sur la compréhension (voir 13, 14, 15, 19, 23;  15, 10; 16, 12).  Il ne s'agit pas d'une compréhension intellectuelle qui ferait que les plus intelligents comprendraient mieux et plus vite. Le Royaume des cieux pose en effet question que ce soit à l'époque de Jésus ou dans les siècles à venir : est-on prêt à accepter un Messie dont l'oeuvre est fragile et peut donc être freinée, voire empêchée ? 

Les scribes sont les spécialistes de la Tora, des rabbis autorisés, des théologiens reconnus, ordonnés à enseigner, à partir de l'âge de 40 ans, après donc une très longue formation. Ils avaient une grande autorité sur le peuple. La plupart étaient pharisiens. Ici, il s'agit d'un scribe qui s'est converti au Royaume et qui donc voit les choses de manière nouvelle. Il est riche de l'enseignement de la loi (l'ancien) éclairé par Jésus (le neuf). Il a trouvé LE trésor et il en fait profiter autour de lui.  Serait-ce Matthieu?

3.15 Alors le Royaume des cieux ou de Dieu, c'est quoi? 

Une réalité présente non pas seulement dans les communautés chrétiennes ou l'Église mais au coeur de ce monde. Une réalité infiniment discrète et même cachée (semence, levain, trésor, perle, filet). Réalité lente, très lente à évoluer, elle ne bouscule rien; elle n'a rien d'un bulldozer. Pourtant elle contient en elle une force insoupçonnée, cachée, telle qu'elle finira par l'emporter. Un jour, quand ?, cette réalité va se manifester (l'épi sera plein de grains, le moutardier grand, la pâte levée, le trésor et la perle trouvés, les bons poissons triés) mais en attendant elle est mélangée à des forces contraires (ivraie, mauvais poissons) qui, le plus souvent, semblent les plus fortes.

Cette réalité ne s'est donc jamais imposée, elle est insaisissable, discrète sans frontières claires. Pour la voir, il faut des yeux prêts à la voir, des oreilles prêtes à l'entendre, un coeur prêt à l'accueillir, bien disposé, ouvert. Et à nouveau l'intelligence intellectuelle n'a rien à voir là-dedans. Cette réalité apparaît en effet discrètement dans le monde et dans l'Église dès que la Parole (ou la conscience pour celles et ceux qui ne se reconnaissent pas du Christ) est accueillie, écoutée, concrétisée. Alors elle produit des espaces fragiles de liberté, de paix, de justice, de prière. Espaces qui paraissent fragiles, insignifiants qui vont, qui viennent, qui naissent, qui meurent... Mais qui un jour vont gagner.

Ce Royaume ne correspond donc pas à l'Église ni à une communauté chrétienne car celles-ci sont visibles. Elles ont des frontières, sont organisées, suivent des lois, ont une autorité, etc. Et il est à l'opposé de la violence qui semble triompher dans ce monde, ses pouvoirs meurtriers, ses richesses injustement partagées, etc. 

Ce que nous pouvons espérer et à quoi nous sommes invités à travailler c'est que l'Église et les communauté chrétiennes soient au service du Royaume. De deux manières : 1/ en scrutant sa présence, toujours petite, faible, et en la "relevant" partout où elle se manifeste; 2/ en le faisant naître et progresser en soi et autour de soi.

NB : Les guérisons de Jésus.

Les guérisons accompagnent souvent l'annonce du Royaume et comme cette annonce, elles n'ont pas nécessairement une incidence ecclésiale mais certainement une incidence dans des vies personnelles, celles de leur entourage et même dans la société. Ainsi rien ne dit habituellement que les personnes guéries, sont devenues chrétiennes, membres d'une communauté chrétienne. Rien ne dit que le centurion, la veuve de Naïm, la pécheresse qui vient parfumer les pieds de Jésus, la foule rassasiée lors du partage du pain, la femme courbée, les infirmes, etc., soient devenus membres d'une communauté chrétienne, aient été baptisés. Ce qui est dit le plus souvent c'est que Jésus a répondu à leur attente et qu'il les a aidés à eux-mêmes sortir de leur épreuve...


4 Autres paraboles sur le Royaume de Dieu.

4.1 Mt 18, 23 - 35  Le pardon inlassablement répété.

En Mt 18, l'auteur a rassemblé six conseils pour la vie en communauté chrétienne. Ces six conseils se terminent par celui du pardon à répéter inlassablement, aux versets 23 à 35. Citons-en la parole centrale (verset 33) où le roi s'adresse au serviteur qui a refusé de remettre sa dette à un débiteur : "Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir compassion de ton compagnon, comme moi-même j'avais eu compassion de toi?" A ce pardon, tout être humain est appelé. C'est essentiel pour la vie du monde.

                                                                                                                                                                             

4.2  Mt 20, 1 - 16  Les ouvriers de la 11e heure.

Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sort de grand matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne... Ce maître sort donc embaucher des ouvriers à plusieurs reprises et cela jusqu'à la 11e heure, c'est-à-dire une heure avant la fin des travaux. Avec les premiers ouvriers, il s'était engagé pour le salaire d'une pièce d'argent, c'est-à-dire l'équivalent de ce que coûte une famille par jour. Aux suivants, il avait dit : "Je vous donnerai ce qui est juste."  A la fin de la journée, il fait remettre une pièce d'argent à chaque ouvrier quel que soit le travail fourni, comme s'il estimait qu'il faut payer les ouvriers selon leurs besoins plutôt que selon le travail fourni. Pour lui c'est cela être juste. A l'un des ouvriers du matin qui réclame, il répond : "Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux avec mon bien? Ou alors ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon?"  Ainsi, conclut Jésus : les derniers seront premiers et les premiers seront derniers.

L'enseignement paraît évident : le Royaume est offert sans conditions. Il est au-delà de nos mérites et efforts. Il s'y ajoute une pointe contre des membres du peuple élu qui, selon Jésus, estimeraient devoir être privilégiés.

4.3  Mt 21, 28 - 31  Les deux fils

A l'un de ses fils un père demande d'aller travailler à sa vigne. Le fils refuse mais peu après il y va quand même. Au second le père fait la même demande. Celui-ci dit : "Oui", mais n'y va pas. C'est clair, pour Jésus et ses auditeurs : celui qui a fait la volonté de son père, c'est le premier. A cette parabole, Jésus ajoute un commentaire "scandaleux" : "En vérité, je vous le déclare, collecteurs d'impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. En effet Jean est venu à vous dans le chemin de la justice et vous ne l'avez pas cru. Collectionneurs d'impôts et prostituées, au contraire, l'ont cru. Et vous, voyant cela, vous ne vous êtes pas davantage repentis dans la suite pour le croire."

L'enseignement insiste sur l'importance du "faire" du "mettre en pratique" la volonté du Père. Ici, elle a été transmise par Jean Baptiste. Certains, parmi les "derniers" de la société, l'ont écoutée. D'autres, parmi les dignitaires religieux, sont restés de marbre, convaincus qu'il leur suffisait pour "être sauvés" d'être membre du peuple élu, ou chrétiens. Il y a à nouveau une pointe contre Israël, contre ceux qui sont tellement sûrs d'être parmi les meilleurs qu'ils estiment ne plus devoir écouter aucun prophète.

4.4 Mt 21, 33 - 46 Les métayers révoltés.

Cette parabole, qui suit directement la précédente, est à nouveau une attaque de Jésus contre la suffisance de Juifs. Ces métayers, qui ont travaillé à la vigne reçue en fermage, refusent d'en payer les fruits. Ils tuent même les envoyés du Maître. Ils tuent même son propre fils dont le Maître espère que lui sera quand même accepté. Que fera ce Maître? Il fera périr ces métayers. Et Jésus conclut : " Ainsi, je vous le déclare ("vous" ce sont les grands prêtres et les anciens du peuple) : le Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits..." En entendant cette parabole, les grands prêtres et les pharisiens comprirent que c'étaient d'eux qu'ils parlaient...

L'enseignement ressemble à celui de la parabole précédente mais en plus dur, avec la même note contre le peuple élu. Et de nouveau, il n'est pas question de l'Église (qui serait l'héritière de la Promesse) mais de ce Royaume insaisissable.

4.5 Mt 22, 1 - 14 Le festin des noces.

Le Royaume des cieux est comparé à un roi qui fait un festin de noce pour son fils. Ici encore, les envoyés qui vont avertir les invités que tout est prêt sont mal accueillis, maltraités et même tués. Le roi fait alors inviter tous ceux que les envoyés trouveront, "les mauvais comme les bons". Les premiers invités n'étaient pas dignes de cette invitation.

Enseignement : ici encore il y a une mise en garde contre ceux qui sont certains que leur appartenance à l'élite suffit aux yeux de Dieu, avec surtout cette bonne nouvelle que le monde entier, (les mauvais comme les bons !) est invité au banquet offert par Dieu. Les noces de son Fils sont en effet les fêtes de l'alliance offerte par Dieu non seulement à l'Église mais à toute l'humanité.

4.6 Mt 25, 1 - 13 Les dix jeunes filles.

"Alors, dit Jésus, il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient insensées et cinq étaient avisées." Les avisées seules avaient pris soin de prendre avec elles une réserve d'huile. Avec raison puisque l'époux se fait attendre. Elles seules peuvent donc l'accueillir à la lumière de leur lampe et entrer dans la salle des noces. La dureté du Seigneur vis-à-vis des retardataires est frappante : "En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas. Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l'heure."

Le message de cette parabole porte sur une vigilance quotidienne. Par ailleurs, grâce aux versets qui précèdent et à la parabole des talents qui suit, on apprend que veiller ce n'est pas attendre les bras croisés ou les mains jointes, c'est agir comme le serviteur fidèle qui, en temps voulu, donne à chacun sa nourriture, ou comme ces serviteurs qui prennent le risque de faire valoir les talents reçus. Attendre le Seigneur signifie donc veiller aujourd'hui sur ses soeurs et frères, qu'ils aient de quoi vivre. Demain, il sera trop tard !

4.7 Mt 25, 31 - 46  Le jugement final.

Ici l'enseignement sur la manière de veiller est lumineux. Il y est dit que le Royaume a été préparé depuis le fondation du monde pour ceux qui ont donné à manger et à boire, ont donné un vêtement, ont accueilli ou visité celles et ceux qui en avaient besoin. Ils apprendront avec stupeur que tout cela ils l'avaient donné en fait à Jésus. Que c'étaient donc des gestes, des attitudes de membres du Royaume de Dieu. Et les autres, dans la deuxième partie de l'évocation, apprendront, tout aussi stupéfaits, que ce qu'ils ont refusé à ceux qui souffraient les avaient mis en fait hors du Royaume ici-bas ! A nouveau, ces images fortes ne signifient pas leur damnation éternelle !

4.8 Conclusion

Une chose ressort clairement de ces six paraboles c'est que négativement il n'y est pas fait du tout allusion à l'Église, ni à la prière ni aux sacrifices ni à un culte quelconque. Mais que, positivement, c'est à toute femme, à tout homme que Jésus propose de remettre les dettes, de veiller avec soin, de risquer les dons reçus, de se faire proche des malheureux. Car le Père du ciel qui est juste, dans le sens qu'il fait de nous des justes, invite absolument tout le monde à entrer dans son alliance. 

Quant aux reproches faits aux membres du peuple élu de se reposer sur leur appartenance, ils valent évidemment aussi pour les membres de toute religion, notamment pour les membres des Églises chrétiennes. Les invitations de Jésus qui concernent toute l'humanité s'adressent, bien sûr, à eux aussi. D'autant qu'ils ont la grâce de connaître bien des Paroles de Jésus. Eux aussi, nous aussi, nous devons nous attendre à ce que les derniers soient premiers, et les premiers soient derniers.

Cette mise en garde "que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers" revient à plusieurs reprises. Ainsi en Mt 20, 16, après la parabole des ouvriers de la onzième heure, en Mc 10, 31 après le refus du riche de le suivre, et en Lc 13, 30, après une autre Parole de Jésus en Lc 13, 28 - 29 : "Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous, jetés dehors. Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu."


5  Les lieux du Royaume de Dieu.

Une parole de Jésus est particulièrement frappante. En Lc 17, 20 - 21, les pharisiens lui demandent : "Quand donc vient le Règne de Dieu?"  Jésus leur répond : "Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas : « Le voici » ou « Le voilà ». En effet le Règne de Dieu est parmi vous. Une autre traduction est possible : Le Règne de Dieu est en vous !

Cela fait penser à la réponse de Jésus à la Samaritaine qui lui demandait où il convient d'adorer Dieu. Nous connaissons sa réponse, en Jn 4, 20 - 24 : "Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne (= le mont Garizim) ni à Jérusalem que vous adorerez le Père... L'heure vient, et maintenant elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité."

Où pouvait-on rencontrer Jésus? Certainement au temple ou dans une synagogue mais le plus souvent en dehors de lieux religieux : sur les routes (les verbes de mouvement sont innombrables), dans des maisons, ou à la "maison", à Capharnaüm, sans doute dans la maison de Simon Pierre, au bord de la mer (Mc 2, 13; 3, 7; 5, 1...), ou encore en barque et il n'hésite pas à traverser le lac, Mc 4, 35 et 6, 45.

Malgré ses recommandations aux disciples en Mt 10, 5 de ne pas prendre le chemin des païens ni d'entrer dans une ville des Samaritains, lui-même n'hésite pas à s'y rendre. Il va ainsi de l'autre côté du lac, au pays des Géraséniens ou Gadaréniens, Mc 5, 1, il passe au-delà du Jourdain, Mc 10, 1, dans la Décapole, Mc 7, 31, ou dans le territoire de Tyr et de Sidon, où il rencontre la Cananéenne, une païenne, Mt 15, 21 - 28. Rappelons-nous l'envoi des 72 disciples : "dans quelque maison que vous entriez ... dans quelque ville..." C à d partout, même en Samarie. Voir  Lc 9, 51 et Jn, 4.

Si Mt et Mc situent un partage des pains en Israël, Mt 15, 13 - 21 et Mc 6, 30 - 44, ils en évoquent un second en pays païen, ainsi Mc 8, 1 -10 et Mt 15, 32 - 39. Les évangélistes d'ailleurs notent que les multitudes qui s'assemblent autour de Jésus viennent de bien au-delà des territoires d'Israël, comme l'Idumée et Tyr et Sidon. Ainsi Mc 3, 8.

Les lieux du Royaume ne se limitent donc pas aux lieux "sacrés", temple(e), églises ni à la Terre dite "sainte". Ils dépassent les frontières. Et ce n'est pas un hasard si Jésus commence l'annonce de la Bonne Nouvelle en Galilée, dans la Galilée des païens...


6 Les proches du Royaume.

6.1 Les pauvres, les enfants.

Le premier discours de Jésus en Mt au chapitre 5, 3 - 12, commence par "Heureux les coeurs de pauvre, le Royaume des cieux et à eux. Ces "coeurs de pauvres" ou "pauvres de coeurs" ou, comme en Lc 6, 20, les "pauvres", nous les retrouverons sous diverses formes à toutes les pages des évangiles.

Les premiers parmi les pauvres me semblent être les enfants en précisant qu'à l'époque, les enfants n'étaient pas, comme aujourd'hui, de petits rois. L'enfant était vu comme un "petit", un peu important. Ce qui le caractérise, et c'est toujours vrai, est qu'il est totalement dépendant des adultes. Il n'est rien sans cette relation. Vu sa précarité de vie, tôt ou tard, il est bien forcé d'appeler à l'aide. Comme les malades et les infirmes. C'est leur chance contrairement aux riches dont le malheur est de se croire autosuffisants. Rappelons-nous le "Hélas pour vous les riches" en Lc 6, 24.

Nous connaissons bien évidemment Mc 10, 13 - 16 où les disciples, qui croient bien faire en écartant les enfants de Jésus, se font rabrouer : "Le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux..." Et il se mit à les embrasser, les bénir et leur imposer les mains...  Dans le Royaume, c'est-à-dire aux yeux de Dieu, les enfants sont donc les plus grands. Voir aussi  Mt, 20, 1 - 2 et Mc 9, 33 - 37.

6.2 Les exclus du temple.

Pour les Juifs, le temple de Jérusalem, lieu unique, était la représentation sur terre du monde céleste. De ce lieu saint étaient exclues les innombrables personnes impures, c à d les malades, les infirmes, les lépreux ou malades de la peau, les possédés, les miséreux, les adultères, celles et ceux qui exerçaient un métier impur comme collecteurs d'impôts, prostituées, tanneurs, bergers, éleveurs, transporteurs de marchandises et évidemment les païens. Et les aveugles, sourds, boiteux, paralysés des bras, etc. étaient bien plus nombreux qu'aujourd'hui, vu la médecine d'alors.

 Il se fait que ce sont ces pauvres qui, en nombre, on le voit à toutes les pages de l'évangile, se précipitent vers Jésus et l'implorent. Ce qui fait la particularité de Jésus et qui fait surtout scandale c'est qu'il n'hésite pas à les accueillir tous et à bras ouverts. Ce qui ne peut que faire scandale et susciter la colère des autorités religieuses. Un exemple parmi bien d'autres, l'attitude de Jésus avec un chef de collecteurs d'impôts en Lc 19, 1 - 9. Mais il accueille tout aussi chaleureusement un centurion, une païenne de Tyr et Sidon. IL donne même leur foi en exemple.

En Lc 8, 1 - 3, nous apprenons que Jésus est habituellement accompagné par des disciples femmes. Impensable à l'époque. On n'avait jamais vu un rabbi avec des femmes autour de lui. Lc donne le nom de trois d'entre elles et ajoute qu'il y en avait beaucoup d'autres. Et n'est-ce pas un petit clin d'oeil de Lc d'avoir soin de nous dire que ces femmes avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies. Elles étaient donc bien parmi les exclues du temple, même si on ne sait pas de quels maux elles avaient souffert.

La parabole du pharisien et du collecteur d'impôts, en Lc 18, 9 - 14, a dû faire aussi scandale, comme le rôle exemplaire d'un Samaritain dans la parabole de Lc 10, 29 - 37. Même un bandit meurtrier est donné en exemple en Lc 23, 42 - 43. En croix, il avait supplié : "Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume." Et Jésus lui a répondu : "En vérité, je te le dis, aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis."

6.3 Un Dieu universel

Jésus utilise souvent le mot "quiconque", qui vise tout homme, toute femme, quel que soit son pays, sa race, sa religion, sa conduite, son passé... Ainsi en Mc 9, 41 : Quiconque vous donnera à boire un verre d'eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense." Ou encore : Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma soeur, ma mère..." Mc 3, 35. En Lc 3, 10, Jean Baptiste avait répondu pareillement à celles et ceux qui, comme les militaires et les collecteurs d'impôts lui demandaient comment désormais se conduire : partager... être honnêtes..., ne pas abuser de sa force... Il n'avait pas parlé de religion.

Comme chez les grands prophètes, les évangiles sont marqués par l'universalisme, le salut adressé à toutes les nations. Ainsi, dès la "généalogie" de Jésus, apparaît parmi ses "ancêtres" le monde païen, que ce soit en Mt 1, 1 - 16  ou en Lc 3, 23 - 38. Ce monde apparaît encore en Mt 2, 1 - 12 avec les mages, qui ne sont d'ailleurs ni rois ni trois mais des espèces d'astrologues, devins, diseurs de bonne aventure, en tout cas des païens. Lc place à la naissance de Jésus une autre catégorie d'impurs : les bergers, si mal vus à l'époque. On est loin d'un monde religieux !

Nous connaissons les trois paraboles de Lc 15 que Jésus raconte parce qu'il lui est reproché de "faire bon accueil aux pécheurs et de manger avec eux." Jésus leur dit alors trois paraboles qui expriment surtout sa vision de Dieu. Ce qui réjouit Dieu c'est de reprendre contact avec qui s'était perdu, éloigné de lui.

Même universalisme en Lc 2, 14, avec le chant des anges, ces messagers de Dieu : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour les hommes, ses bien-aimés."  Ou chez Syméon en Lc 2, 29 - 32 : "Mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé face à tous les peuples : lumière pour la révélation aux païens et gloire d'Israël ton peuple." Comme le Magnificat, en Lc 1, 46 - 55, où toute l'humanité est visée : les générations, les orgueilleux, les puissants, les humbles, les affamés, les riches...  Lc 4, 16 - 21 met dans la bouche de Jésus les paroles universalistes d'Isaïe, qui annonce notamment une année de grâce, idée que nous retrouvons à la fin de l'évangile, en Lc 24, 47 qui vise à nouveau toutes les nations. Comme en Mt 24, 14

En arrière-fond de cette lutte quotidienne de Jésus contre les autorités religieuses de son temps, qui ont oublié la religion des grands prophètes de jadis, il y a évidemment l'image de Dieu. Quel Dieu servent-ils? Quel Dieu sert Jésus? D'un côté, apparaît un Dieu qui punit toute impureté et donc exige la distance et, de l'autre, un Dieu qui se fait proche de toutes et de tous, sans conditions ni exceptions. 


7  Des signes du Royaume.

Le signe par excellence du Royaume de Dieu c'est évidemment Jésus. Il suffit de parcourir les pages des évangiles. Grâce à lui, que de femmes, d'hommes, de groupes ne se lèvent-ils pas avec une espérance folle dans leur coeur ! C'est extraordinaire. Plus que quiconque Jésus est cette graine discrète jetée dans le sol qui un jour sera un bel arbuste, il est ce levain qui pousse le monde entier vers le haut. Il est aussi le trésor, la perle qui, un jour découverts, remplissent de joie celles et ceux qui les ont trouvés. Il est le bon grain au milieu de l'ivraie, le bon poisson parmi des mauvais. Il est le sel qui donne goût à la vie, la lumière qui montre la route à un monde déboussolé. Il est le premier d'une multitude de soeurs et de frères.

Il est aussi cet ouvrier qui, bien qu'au travail depuis le matin, se réjouit de celles et ceux qui sont venus à sa suite. Il est ce fils qui non seulement dit oui mais se met aussi au travail. Il est plus que tout autre celui qui est vigilant, révèle sans cesse la bonté et la justice de Dieu. Plus que quiconque, nous le voyons manifester la présence de Dieu au milieu de ce monde violent, dur, pécheur. Combien de femmes, d'hommes à terre, malades, humiliés, rejetés, exclus, désespérés, n'a-t-il pas mis debout? Avec ce petit mot extraordinaire d'espérance: "Va". Oui, maintenant que tu as rencontré la tendresse de Dieu, mets-toi en route, ose affronter ce monde et deviens toi-même signe de ce Royaume au milieu duquel tu vis depuis toujours, le plus souvent sans le savoir.

 Et combien d'autres signes du Royaume ont été des femmes et des hommes de toutes convictions religieuses ou philosophiques, à travers toute l'histoire et aujourd'hui encore. Nous connaissons quelques grands noms, que l'on cite souvent, mais combien d'anonymes ou si peu connus ont ainsi participé à rendre ce monde plus humain, plus viable, plus heureux?

En tout cas, à chacune et chacun d'hier et d'aujourd'hui, Jésus ne cesse de dire : Oui, le Royaume est parmi vous. Le Royaume est en toi et dès lors sois, toi aussi, révélateur de ce Royaume. Toi aussi sème sans te lasser, toi aussi sois levain, un trésor, une perle qui donneront vie et joie à d'autres. Puisque tu as accueilli cette annonce, cette bonne nouvelle  merveilleuse que Dieu t'aime, que Dieu est pour toi comme le meilleur des papas et la meilleure des mamans. Puisque tu es convaincu que tu es aimé du Père, que tout être humain porte en lui une part de Dieu, une part de ce Royaume, mets-toi au service de sa manifestation. Que beaucoup d'autres accueillent la bonne nouvelle et soient convaincus eux aussi, d'être aimés, sauvés.

Et, à ton tour, deviens toi aussi, avec d'autres, ensemble, des signes de ce Royaume, des veilleurs. Veille à ce que chacune, chacun, chaque peuple, dans cette maison qui est le monde, puissent vivre décemment, dans la dignité, dans le respect mutuel... Sois comme ce fils qui obéit à l'appel du Père et se met au travail. Sois comme ces serviteurs qui ont l'audace de risquer et de faire fructifier ce que leur a donné leur maître.

                                                                                                                                                                             

Sois de celles et ceux qui, quelles que soient leurs convictions religieuses et philosophiques, ouvrent leur porte au pauvre, à celui qui a faim, qui a soif, qui est sans vêtements et qui rend visite au malade et au prisonnier. Oui, sois veilleur, signe que Dieu est au milieu des siens, à sa façon, c'est-à-dire avec une infinie discrétion. Et sache en même temps que ce ne sera jamais facile car le mal, ce qui détruit l'être humain,  est présent déjà en toi, dans tes soeurs et frères, dans les collectivités, dans le monde. Voir les "36 justes" nécessaires selon la tradition juive pour que le monde vive.

Chaque fois, que nous aurons écouté un autre, que nous lui aurons souri, chaque fois que nous aurons été accueillants, que nous aurons veillé un malade, chaque fois que nous nous serons élevés contre une injustice ou un droit bafoué, chaque fois que nous aurons eu une parole ou un geste de pardon, chaque fois que nous aurons au moins désiré pardonner, chaque fois que nous nous serons mis ensemble avec d'autres pour être plus forts pour humaniser ce monde, chaque fois que nous aurons dans le même but participé à une Association civique, un groupe citoyen, une ONG, un syndicat, un parti politique, etc., nous aurons permis au Royaume de Dieu de se manifester, nous en aurons été les signes...

Mais n'oublions pas les mises en garde de Jésus : le Royaume est à peine visible, pour ne pas dire caché, il ne grandit que très, très lentement, il est fragile comme une petite semence, un rien peut le faire mourir, il est mélangé à l'ivraie. Et pour une petite pousse qui grandit quelque peu, que d'échecs, que de marches en arrière, que de déceptions, que de morts !


8 Ce qui combat le Royaume.

Rappelons brièvement les obstacles au Royaume dans les paraboles de Mt 13 : un sol trop dur, trop caillouteux, rempli de ronces, l'ivraie semée par l'ennemi... Le mal est omniprésent. Quand, en Mt 10, 16, Jésus envoie ses disciples en mission, il les avertit : "Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups... "  Tout en les rassurant quelques lignes plus loin au v. 31 : "Soyez sans crainte, vous valez mieux, vous, que tous les moineaux..." Mais quels seraient concrètement ces obstacles aujourd'hui? La tentation de l'argent, la tentation du pouvoir, l'hypocrisie religieuse, des traditions religieuses...

8.1  Servir l'argent.

Ainsi en Mt 10, 23 : "Qu'il sera difficile à ceux qui ont les richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu." Jésus répétera cette mise en garde, notamment en Lc. Ainsi en Lc 16, 13 : "Aucun domestique ne peut servir deux maîtres. Ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent." Voir les paraboles sur la richesse en Lc surtout : "Le riche insensé" en 12, 16 - 21; "Le gérant habile" en 16, 1 - 9; "Le riche et Lazare", en 16, 19 - 31; ou encore mais ici il s'agit d'être riche de soi-même, en 18, 9 - 14 "Le pharisien et le collecteur d'impôts". Avec cette conclusion de Jésus en Lc 12, 31-32  : "Cherchez plutôt son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume." Mais comme l'argent reste un grand tentateur !

8.2 La soif du pouvoir.

En Mc 10, 35 - 45, les deux fils de Zébédée demandent à Jésus une place de choix. Ce qui met les dix autres disciples en colère. Sans doute parce qu'ils avaient la même ambition ! La réponse de Jésus est nette : les disciples ont à se conduire autrement que dans le monde : ".Si quelqu'un veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur. Et si quelqu'un veut être le premier parmi vous, qu'il soit l'esclave de tous. Car le Fils de l'homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude." Pour la multitude !!! Voir aussi le geste merveilleux de Jésus en Mc 9, 33 - 37, qui, pour montrer aux Douze qui est "le plus grand", place au milieu un enfant.. Le plus grand c'est lui ! Accueillir cet enfant c'est accueillir Jésus, c'est accueillir Dieu. Mais comme la tentation du pouvoir est forte !

                                                                                                                                                                             

8.3 L'hypocrisie religieuse.

Il faudrait lire tout le discours de Jésus en Mt 23, 1 - 36 : "Hélas pour vous, scribes et pharisiens hypocrites..." Notons le v 13 : Hélas pour vous, scribes et pharisiens hypocrites, vous qui barrez aux hommes l'entrée du Royaume des cieux ! Vous-mêmes n'y entrez pas et vous ne laissez pas entrer ceux qui le voudraient." Ce que, en 11, 52, Lc transpose par : "Hélas pour vous, légistes, vous qui avez pris la clé de la connaissance... Comme le dit le commentaire de la TOB : il s'agit de la clé qui donne accès au Royaume. Et cette hypocrisie religieuse fait bien plus que de détourner d'une vraie pratique de la foi. ne cache-t-elle pas le plus souvent la soif de dominer?

8.4 Des traditions religieuses.

Il y a enfin, comme obstacle au Royaume, des traditions religieuses et particulièrement celles qui insistent sur la pureté rituelle et qui aboutissent à ce que, comme le disait Isaïe cité par Jésus en Mt 15, 8  "Ce peuple m'honore des lèvres." Ces traditions coupent du monde, l'excluent, font oublier les autres. Voir à ce sujet Mc 7, 1 - 13 où une tradition religieuse en vient à supprimer l'aide aux vieux parents !!! Alors que la pureté du coeur intègre, s'ouvre au monde, ouvre à autrui. A ces traditions religieuses Jésus oppose "le" commandement de Dieu, ce commandement qui est double, comme si bien montré, en Mc 12, 28 - 34, par un scribe dont Jésus dit que justement il n'est pas loin du Royaume de Dieu.

8.5 La tentation est partout

Le mal se trouve partout comme le montrait avec tant de force la parabole de l'ivraie. Non seulement dans des ennemis extérieurs mais même en chacun de nous, au coeur de notre coeur. Le récit de la tentation de Jésus, en Mt 4, 1 - 11 et Lc 4, 1 - 13 est éloquent : "Si tu es le Fils de Dieu... répété à deux reprises, avec la proposition de le prouver par un miracle. Ou encore avec la proposition, appuyée par le ps 91, 11 - 12, de faire du spectacle. Ou enfin le pouvoir sur tous les royaumes du monde : "Tout cela je te le donnerai si tu te prosternes et m'adores!" Mêmes tentations à la croix, en Mt 27, 40 - 44.

Comme le dit Jésus en Mt 11, 12 : "Depuis les jours de Jean Baptiste jusqu'à présent, le Royaume est assailli avec violence. Ce sont des violents qui l'arrachent." Nous venons de le voir. Lc exprime cela de manière différente, en Lc 16, 16 : "La Loi et les Prophètes vont jusqu'à Jean. Depuis lors la bonne nouvelle du Royaume est annoncée et tout homme déploie sa force pour y entrer."


9 Et l'Église ?

9.1 Trois cercles

Durant sa vie publique, Jésus appelle et même forme des disciples. Parmi ceux-ci, après avoir prié Dieu pendant toute la nuit, en Lc 6, 12 - 16, il en choisit douze auxquels il donna le nom d'apôtres. Mc 3, 14 - 15, note qu'il établit ces douze "pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons." Il y a donc trois  cercles autour de Jésus : 1/ la foule qui va et vient, 2/ celles et ceux qui suivent habituellement Jésus, dont de nombreuses femmes, Lc 8, 1 - 3.  Et 3/ le cercle rapproché :des Douze.

9.2 Formation de ses proches.

Un certain nombre de passages montrent Jésus soucieux des ses disciples et des Douze. Ainsi en Mc 6, 31 il veille à leur repos car "ils n'avaient même pas le temps de manger" !  Il prend du temps pour les former, comme leur expliquer des paraboles, en Mc 4, 10. Mais il va surtout prendre du temps pour cette formation dans la deuxième partie de Mc. Ainsi Mc 8, 14 - 21 et Mc 11, 20 - 26 où il les invite à la confiance. En Mc 8, 27 - 30, il les invite à entrer peu à peu dans son mystère. Ou encore en Mc 8, 31 - 33; 9, 30 - 32 et 10, 32 - 34, où il les prépare à sa fin horrible. 

                                                                                                                                                                           

Autres moments de formation encore : sur l'esprit de service qui doit caractériser les responsables : Mc 9, 33 - 37 et 10, 43 - 45; sur le danger des richesses : Mc 10, 23 - 31 après le départ de l'homme riche et 12, 41 - 44, à la vue de l'aumône de la pauvre veuve. En Mc 13, 1 - 37, le discours apocalyptique de Jésus ne s'adresse qu'aux disciples. Et évidemment en Mc 14, 22 - 25, son dernier repas. Sans oublier ce tout grand moment que fut pour trois d'entre eux la transfiguration, où l'espace d'un instant ils sont introduits dans l'intimité profonde de Jésus, en Mc 9, 2 - 10.

On a l'habitude  de voir en Mt 18 un certain nombre de conseils que Jésus donne à ses disciples, conseils sur la vie en communauté. La communauté chrétienne est appelée à ressembler au Royaume

* par la première place donnée aux enfants (v 1 à 5),

* par le rejet de tout scandale, c à d les attitudes qui peuvent "faire tomber" les "petits qui croient en moi", peut-être les nouveaux chrétiens à la foi peu assurée (v 6 à 11),

* par le souci de quiconque s'est perdu (v 12 à 14),

* par la volonté de donner place au dialogue (v 15 à 18),

* par la volonté de prier ensemble, sans doute malgré les oppositions (v 19 à 20),

* par la place à donner au pardon (v 21 à 35).

9.3 "Tu es Pierre..."

Il y a à donner une place particulière à Mt 16, 13 - 23 où nous voyons Jésus poser une question sur lui-même, la réponse de Simon-Pierre, la promesse à Pierre et la première annonce de la passion avec le trouble de Pierre. Cet épisode se place à Césarée de Philippe, à l'extrême nord d'Israël, aux "sources" du Jourdain. Comme si Jésus avait emmené ses disciples à la source pour ce moment capital de leur formation. La réponse de Pierre, pour laquelle Jésus le félicite (heureux es-tu) est claire : il voit en Jésus le Messie, le Fils du Dieu vivant. C'est sur Pierre que Jésus édifiera son Église contre laquelle les portes de l'Hadès (= le séjour des morts ou les forces de mort) ne pourront rien. Les clés signifient l'exercice de l'autorité, le pouvoir d'exclure et introduire les hommes dans le Royaume. Exclure et introduire, lier et délier signifient dans le judaïsme de l'époque  interdire et permettre. Ce que faisaient les grands rabbins.

9.4 Et quelques femmes...

J'ai déjà attiré l'attention sur les femmes disciples telles que nous en parle Lc 8, 1 - 3, en donnant le nom de trois d'entre elles et en ajoutant qu'il y en avait beaucoup d'autres. La traduction habituelle dit que toutes ces femmes les "aidaient" de leurs biens alors que, littéralement, il est écrit : les "servaient" de leurs biens. Le verbe servir "diakonein" signifiant assumer un service. C'est de ce verbe que sont venus les mots diaconie et diacre. Pour "servir comme un esclave" existait un autre mot : "douleuein". Une de ces trois femmes, Marie de Magdala, aura un rôle essentiel dans la suite puisque c'est elle qui, la première, selon Jn 20, 11 - 18, recevra de Jésus l'annonce de sa résurrection, avec la mission de l'annoncer aux autres. En Mt 28, 6, Mc 16, 6 et Lc 24, 6, ce seront un ou deux anges qui annonceront la nouvelle à Marie de Magdala et d'autres femmes.

Il y a aussi à noter l'épisode en Lc  10, 38 - 42 où Jésus est reçu chez Marthe, par celle-ci et Marie, peut-être les soeurs de Lazare. Alors que Marthe s'active au service (= diaconia) d'accueil, Marie, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Et être assis aux pieds d'un maître pour écouter sa parole c'est devenir disciple...

Le 4e évangile insiste sur la foi de femmes qui manifestement ont dû fréquenter assidûment Jésus au point de remarquablement bien le connaître. Pensons à l'acte de foi de Marthe, la soeur de Lazare, qui ressemble tellement à celui de Pierre, en Jn 11, 27 : "Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu." Et je viens de parler de Marie de Magdala qui reconnaît Jésus ressuscité au moment où il l'appelle par son nom : "Myriam." Il y a aussi la Samaritaine qui est la première personne dans le 4e évangile, en 4, 26, à qui Jésus dévoile qu'il est le Messie.

                                                                                                                                                                           

9.5 La mission de l'Église

Je l'ai dit, durant sa vie publique, Jésus appelle, regroupe et éduque des disciples dans le double objectif de l'accompagner dans sa mission et de lui succéder ensuite. Ce sera le moment de devenir responsables de communautés et même un jour responsables de communautés de communautés : l'Église. Dans la mission d'Église, il importe de distinguer la fin et les moyens.

9.5.1 Les moyens de l'Église.

Je vois deux niveaux de moyens :

A/ ses moyens spirituels, les sacrements, la liturgie, l'annonce de la bonne nouvelle, la catéchèse, les différents types de prière communautaire, l'adoration, les pèlerinages, les retraites, etc. Bien sûr, ce sont des moyens tout à fait extraordinaires puisqu'ils nous donnent de rencontrer Dieu. Et à ce titre, d'une certaine manière, ce sont des fins en soi. Je dis d'une certaine manière car normalement ils s'accompagnent d'un "aimer", d'un "agir", à titres personnel et collectif. Je pense ainsi à ce groupe de prière qui a été à la base d'une association d'entraide...

B/ ses moyens matériels : sa hiérarchie, son organisation en diocèses, doyennés, paroisses, communautés diverses, associations, regroupements, organisation financière, etc. Tous ces moyens sont importants, évidemment mais ils ne sont pas l'essentiel, la finalité de l'Église.

9.5.2 La fin, la finalité de l'Église.

La finalité de l'Église est de se mettre au service du Royaume. De deux manières d'égale importance :

A/ Que les communautés chrétiennes travaillent à ce que sans cesse naissent en elles et autour d'elles des petites pousses du Royaume. Qu'elles soient "des lieux de vérité et de liberté, de justice et de paix", des lieux d'espérance. La plupart d'entre nous peuvent témoigner de ce que, de mille et une manières, ces communautés travaillent à rendre ce monde plus humain, plus fraternel, plus juste. A côté d'initiatives plus organisées comme celles de l'Action Vivre Ensemble et Entraide et Fraternité, que d'initiatives locales comme l’attention aux personnes isolées, handicapées, malades, etc. Que de participation à des actions sociales et citoyennes. Les équipes, les fraternités, les mouvements, les groupes de prière, etc. peuvent favoriser aussi des initiatives en vue du Royaume.

B/ Puisque les signes du Royaume sont habituellement petits, discrets, qu'ils naissent ici ou là, partout dans la société et dans le monde, dans de multiples initiatives pluralistes, de toutes convictions, qu'ils disparaissent, qu'ils renaissent, qu'ils vont, qu'ils viennent, etc., il importe que les communautés chrétiennes y soient attentives, les mettent en valeur, les soutiennent, les valorisent, tout en les respectant dans leur spécificité.

On comprendra dès lors combien il importe que les communautés d'Église soient nombreuses sans pour autant que la quantité soit première. Ce qui reste évidemment premier c'est que, animées par l'Esprit de Jésus, elles soient au service du Royaume.

Je crois que cette distinction entre l'important et l'essentiel est une clé pour nous aider à comprendre l'Église.

PS : « Savoir qu’on croit et surtout pas croire qu’on sait ». Anonymus