Le texte

Voici quelle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, la mère de Jésus, était fiancée à Joseph. Or, avant qu’ils aient vécu ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la bafouer. Il décida de la répudier en secret. Il réfléchissait à cela, lorsque l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi ta femme Marie. L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit et est saint. Elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».
Tout cela arriva pour que s’accomplisse
(1) la parole du Seigneur prononcée par le prophète
(2) Voici que la Vierge aura dans le ventre et mettra au monde un fils, qu’ils appelleront  Emmanuel, qui se traduit ‘Dieu avec nous’.
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit. Il prit chez lui son épouse.

Homélie

Ce récit au style historique est en fait une catéchèse sur la naissance de Jésus. Sans doute fallait-il déjà corriger certains récits sur la naissance de Jésus qui circulaient dans les milieux chrétiens vers les années 70 - 80 ⁽³⁾. Matthieu cite les noms, avec l’une ou l’autre précision utile à la foi chrétienne. Ainsi Jésus, nom qui signifie « Dieu sauve », est Christ ⁽⁴⁾. Il sera aussi appelé Emmanuel, c’est-à-dire « Dieu avec nous ». Marie est sa mère sans avoir vécu avec son « fiancé - époux », Joseph ⁽⁵⁾, descendant de David. Joseph va transgresser la loi ⁽⁶⁾ en gardant secrète la maternité de Marie. Aussi Matthieu a-t-il soin de dire que Joseph est un « juste » c’est-à-dire un homme pénétré de la loi de Dieu, de cette loi qui précisément culmine dans la miséricorde.
 
Joseph est le centre de ce récit, alors que, chez Luc, c’est Marie. Aussi c’est dans la vie de Joseph que Dieu va intervenir. Il le fait à sa manière, c’est-à-dire en ne s’imposant pas mais en se servant d’intermédiaires. Le premier est « l'Ange de Yahvé » (ou messager de Yahvé). Dans la Bible, cette expression courante désigne un de ces intermédiaires. De cette manière, Dieu, le Transcendant, se rend accessible à ses créatures. Tout être humain (vous… moi…) est susceptible d’être un tel intermédiaire, le plus souvent sans en être conscient. Cessons donc de voir  les anges comme des êtres fabuleux, ailés  et… asexués. Un autre intermédiaire est le « songe ». Comme avec l’ange, Dieu évite ainsi de s’imposer. Une présence immédiate enlèverait toute liberté à la réponse humaine. C'est donc librement que Joseph obéit à l'appel de Dieu. Il « agit » ⁽⁷⁾, il prend Marie chez lui, c’est-à-dire qu’elle devient son épouse.
 
Mais que s'est-il donc passé ?  Souvent dans la Bible, l’utilisation de la voix passive, ici  à deux reprises, suggère que Dieu est l’auteur de l’action : « elle fut enceinte de l’Esprit Saint » et « l’enfant qui est engendré ». Mais Matthieu, comme Luc, fait silence sur le «comment ». Il se fait qu’au cours de l'histoire, la plupart des commentateurs, ignorant la culture biblique, ont malheureusement donné des explications d’ordre biologique là où les évangiles se voulaient théologiques. Respectons leur intention et restons-en au texte : elle fut enceinte avant qu'ils aient habité ensemble. La Bible des Éditions Bayard ⁽⁸⁾ traduit joliment : ils ne vivaient pas encore ensemble quand le souffle saint agit en elle et la fit mère.
 
L’évangile de Matthieu  commence par la généalogie de l’homme Jésus, dont elle souligne surtout l’aboutissement. Cette généalogie, manifestement construite (ne comporte-t-elle pas trois groupes de 14 descendants), est, elle aussi, théologique. Elle évoque un Dieu dont l’activité perpétuellement créatrice se prolonge en Joseph, Marie, Jésus, aujourd’hui encore.
 
Dans notre passage, que veut enseigner Matthieu à ses lecteurs ? Que ce Jésus, que va décrire son livre, est tout d’abord un homme. Il est le fils d’une femme, Marie. On pourra donc imaginer sa vie comme celle de n’importe quel être humain, avec ses qualités et ses limites. Comme tant d’êtres humains, il a été élevé par ses parents. Avec les gens du village, ceux-ci lui ont appris à vivre : marcher, aimer, lire la Bible, être un bon artisan...  Comme tout humain, il mangeait, il buvait, il était fatigué le soir, il dormait, etc. Comme tout humain, il a vécu aussi constamment la tentation si humaine de se mettre au « centre », à la place de Dieu… De cet homme, Matthieu nous dit qu’il est Christ (ou Messie), Emmanuel, et qu’un lien unique le relie à Dieu, lien qui s’exprime le mieux par l’image de Père et Fils  ⁽⁹⁾.
 
⁽³⁾ L’évangile selon Matthieu a dû être publié vers les années 80.
⁽⁴⁾ Nous avons l’habitude d’accoler Christ à Jésus comme un nom de famille à un prénom. En fait, l’évangéliste dit ainsi sa foi : l’homme Jésus est Christ, ou Messie. Dès lors si les historiens ne nient pas l’existence de l’homme Jésus, le fait qu’il soit « Christ » ou « Messie » est un acte de foi qui ne les concerne pas.
⁽⁵⁾ Deux fiancés juifs étaient liés au point qu’une infidélité dans le couple était  vue comme un adultère.
⁽⁶⁾ La loi obligeait le « fiancé » (l’homme) à dénoncer l’infidèle (la femme).
⁽⁷⁾ J’ai déjà fait remarquer l’importance de l’action dans l’évangile de Matthieu.
⁽⁸⁾ Chacun des livres de la Bible y est traduit par un exégète aidé d’un poète.
⁽⁹⁾ Ce ne sera que vers la fin du 1er siècle que la foi chrétienne, comme on le voit dans le Prologue de Jean (1, 1), ira encore plus loin affirmant que, de toute éternité, l’homme Jésus est le Verbe de Dieu, qu’il est Dieu. Il aura donc fallu des dizaines d’années pour que la foi chrétienne puisse  s’approfondir. Ce ne sera d’ailleurs qu’au 4e siècle qu’elle sera enfin coulée en un dogme accepté par la plupart des chrétiens.