4ème Dimanche ordinaire

Matthieu 5, 1-12


Le Texte (Les mots et expressions en italique sont plus proches de l’original grec que ceux du missel).

J’attire surtout  votre attention sur ce fait que nous trouvons dans ce passage des éléments  fondamentaux de l’enseignement de Jésus.(1)

Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne (2), il s’assit et ses disciples s’approchèrent.  Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait :
« Heureux (3) les pauvres de cœur (4) car le Royaume des cieux (5) est à eux  (13)!
Heureux les doux (6)  car ils hériteront la terre (13)!
Heureux les affligés (7) car ils seront consolés (13)!
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice (8) car ils seront rassasiés (13)!
Heureux les miséricordieux (9) car ils obtiendront miséricorde (13) !
Heureux les  coeurs purs (10) car ils verront Dieu (13)!
Heureux les artisans de paix (11) car ils seront appelés fils de Dieu (13)!
Heureux ceux qui sont pourchassés pour la justice (11) car le Royaume des cieux est à eux (13)!
Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.  Réjouissez-vous, jubilez, car votre récompense sera grande dans les cieux (13)! »

(1)   L’évangile de Matthieu comporte 5  grandes instructions :
1/ le sermon sur la montagne (5, 1 à 6, 34),   
2/ l’envoi en missions (10, 5 à 10, 42),
3/ les paraboles du Royaume (chap. 13),
4/des conseils  pour la vie en communauté (chap. 18)        
5/la fin des temps (24, 1 à 25, 46).

(2) Par cette note, Matthieu présente Jésus comme le nouveau Moïse, lui qui avait enseigné sur la montagne du Sinaï.  En fait si en Galilée il y a des collines, il n’y a pas de montagne. Dans le passage parallèle, Luc évoque une plaine... Sans doute ne pense-t-il pas à Moïse...

(3) Il ne s’agit pas d’un discours moral du genre : vous serez heureux à condition que vous soyez pauvres, affligés, etc. mais il s’agit de la joie de Jésus qui découvre autour de lui des gens heureux ici, maintenant. Et ce ne sont pas  ceux auxquels on penserait d’abord.
NB A propos de l’explication des mots qui suit : il est normal qu’en 2000 ans, le sens des mots ait pu changer et que maintenir le sens ancien serait une erreur. Ce serait du « fondamentalisme ». Ce que tous les exégètes actuels, comme l’enseignement officiel de l’Eglise, rejettent absolument.

(4) Littéralement « pauvres par l’esprit ».  En grec, il existe un seul mot (pneuma) pour dire : vent, souffle ou esprit.  On pourrait donc traduire  par « les à bout de souffle ».

(5) Jésus ne donne jamais une définition du Royaume des cieux.  Il procède par comparaisons et paraboles successives.  Pour moi cette expression suggère que Dieu est chez lui (dans son « royaume ») et se manifeste donc  là où il y a relation, entente, entraide...

(6) Les « doux »  ce sont ceux qui n’ont rien à dire et rien à attendre de la société.

(7) Il s’agit de ceux qui sont dans la peine car endeuillés ou dans une situation difficile.

(8) Ce sont ceux qui aspirent ardemment à un monde autre, un monde selon le cœur de Dieu.

(9) Ce sont ceux qui font preuve d’une bienveillance active vis-à-vis des blessés de la vie, des exclus, des oubliés.

(10)  Ce sont les gens loyaux, vrais, d’une seule parole, sur qui on peut compter.

(11) Il s’agit de ceux qui surtout agissent pour la paix, font des œuvres de paix.

(12) Vouloir un monde selon le rêve de Dieu entraîne nécessairement colère, violence, vengeance de la part des gens en place.

(13) Les huit récompenses visent le bonheur ici et maintenant.  Car le Royaume des cieux commence dès ce monde. Ainsi ces heureux reçoivent de vivre de la tendresse de Dieu, puisque c’est Dieu qui les console, les rassasie, leur fait miséricorde, se donne à voir, les aime comme ses enfants.
 
L’homélie.

Dimanche dernier, nous entendions les toutes premières paroles de Jésus, selon l'évangile de Matthieu : « Le Royaume des cieux (1) est devenu proche ».  Cela revenait à dire : Dieu lui-même se fait proche de toutes et de tous, qui que l'on soit, quel que soit le passé, la manière de vivre, les convictions religieuses ou non.  Jésus lançait cette extraordinaire bonne nouvelle à un peuple, qui, à cause des autorités religieuses du moment, était convaincu d'être impur, pécheur, loin de Dieu.  Cette merveilleuse annonce, Jésus la prolonge dans l'évangile d'aujourd'hui : les autorités prétendent que les pauvres, les affligés, les petits sont des pécheurs, loin de Dieu mais moi, Jésus, j’affirme que c’est faux.  J’ai vu combien de ces « gens-là » sont tout proches de Dieu.  Ils sont donc déjà dans son Royaume et donc heureux.
 
Malheureusement, on a souvent présenté les béatitudes comme un appel moral : si vous voulez être heureux, et surtout heureux dans l'autre monde (saints !), alors vous « devez » devenir pauvres, vous « devez » être doux, vous « devez » souffrir, etc.  Heureusement Jésus n'a jamais dit de pareilles horreurs.  Jamais.  Les béatitudes sont bien plutôt un merveilleux cri de joie et d'admiration de Jésus devant ce qu'il constate : contre toute attente, sont heureux, dès maintenant, dès ici-bas, celles et ceux qui sont pauvres, doux, dans le deuil.  
 
Précisons encore ! Jésus ne dit nulle part que ces gens seraient meilleurs que les autres.  Non, il les dit « heureux ».  Et heureux à un double titre.  Heureux parce que Dieu les aime et que, à cause de leurs situations pénibles (les quatre premières béatitudes) ils sont davantage sensibles à cet amour.  Et heureux aussi parce que leurs souffrances les poussent à appeler à l'aide, à se tourner donc vers autrui, à s'en faire proches.  C'est donc leur situation qui les pousse à s'ouvrir à Dieu et aux autres.  De lui-même, le mal ne procure pas la joie. Evidemment.  Mais, et c'est cela la Bonne Nouvelle, le Royaume de Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même, se manifeste, se touche du doigt, là où règnent de vraies relations humaines.  C'est pareil pour les quatre dernières béatitudes.  C'est parce que ces gens sont amenés à aider les autres en difficulté, et donc, à nouveau, parce qu'ils entrent en relation avec eux, que sont heureux les miséricordieux, ceux qui sont vrais, ceux qui sont semeurs de paix, même s'ils s'en trouvent persécutés.  Etre en relations d'amitié, d'entraide les uns avec les autres n'est-ce pas être, dès maintenant, en relations d’amitiés avec Dieu ? Comme un avant goût du paradis !
 
La deuxième partie de chaque béatitude fait ressortir chaque fois leur portée. A deux reprises, Jésus annonce que le Royaume des cieux est à eux.  Qu'ils sont donc avec Dieu, aujourd'hui, ici-bas. Je le répète, il ne s'agit vraiment pas d'une promesse du genre : dans la mesure où vous souffrirez pour les autres, vous aurez là-haut, votre récompense!  Non c'est bien une constatation : je vois, dit Jésus, que sur cette terre, les heureux ne sont pas ceux que l'on pense, non, les heureux ce sont les pauvres, les pécheurs, les exclus.  Dès maintenant.  Et sont heureux aussi celles et ceux qui s’ouvrent à celles et ceux qui souffrent.     
 Une dernière remarque.  Dans l’évangile de Matthieu, à ces premières paroles de Jésus correspondent ses dernières, celles qui évoquent le Jugement Dernier (2) : « Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume...  Car j’ai eu faim et vous m'avez donné à manger... »  Oui, venez à moi vous, qui êtes si souvent venus à moi, ici-bas!  Au fond, vous avez toujours été dans le Royaume.  Mais sur terre c’était le plus souvent sans trop le savoir.
 
Inattendu : dans aucun de ces deux endroits clés de l'évangile, il n'est question d'actes de piété ou de religion.  En effet, pour Jésus, l'avenir de l'humanité, dépend essentiellement de notre participation au Royaume.  Et le Royaume surgit et grandit dès que des êtres humains, quelle que soit leur foi, favorisent un climat de relations d'amitié et de justice.  Dès lors le sens de toute religion, et particulièrement de la nôtre, comme de toute conviction philosophique, devrait être de nous aider à arriver à cet essentiel : travailler dans ce monde au Royaume, qu’il soit un monde de relation.


(1)  Matthieu, comme tout bon Juif, n’aime pas utiliser le mot Dieu, par respect.  Il dit donc : Royaume des cieux. Ce qui ne concerne pas Luc, d’origine païenne.  Formule équivalente : Règne de Dieu.  De mon côté, souvent je me contente de dire « le Royaume »,
(2) Mathieu 25, 31 et suivants.

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