Le texte. Marc 6, 1 – 6 (Les mots en italique sont plus proches de l’original que les mots du missel)
Jésus est reparti à Nazareth avec des disciples. Le jour du sabbat, il se met à enseigner dans la synagogue. Les nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces actes de puissance qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier (1), le fils de Marie (2), et le frère de Jacques, de José, de Judas et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient scandalisés (3) à son propos. Jésus leur disait : « Un prophète n’est pas méprisé si ce n’est dans sa patrie, sa parenté et sa propre maison. » Et là il ne pouvait accomplir là aucun acte de puissance (4). Il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Il s’étonnait de leur incrédulité. Alors il parcourait les villages d’alentour en enseignant.
(1) Le mot grec –tektôn- peut désigner un ouvrier qui travaille le bois mais aussi la pierre et le métal. Il pourrait donc être constructeur de maison.
(2) De nombreux manuscrits disent plutôt : le fils du charpentier et de Marie.
(3) Le mot grec (scandalon) désigne une réalité bien concrète : le caillou qui affleure du sol qui et peut faire tomber celui qui y butte. De là, une réalité spirituelle : un obstacle qui fait chuter le croyant. En d’autres mots, les propos de Jésus provoquent l’incrédulité...
(4) Souvent on pense le contraire : c’est le miracle qui donne la foi. C’est le contraire qui est vrai : pas de miracle s’il n’y a pas déjà un minimum de foi...
L’homélie.
Comme souvent, Marc ne dit pas ce que Jésus enseignait. Le scandale qu’il provoque peut faire penser qu’il annonçait la Bonne Nouvelle d’un Dieu Père qui se veut tout proche de chaque être humain (1). Ces propos sont en effet inadmissibles pour un peuple à qui on avait toujours enseigné que c’était à l’être humain de faire l’effort de ‘monter’ vers le Très-Haut. A condition, bien sûr, d’être juif, de mener une vie exemplaire, d’exercer un métier décent. Et donc n’être ni berger, ni tanneur, ni publicain ou collecteur d’impôts, et certainement n’être ni infirme, ni pauvre, ni lépreux. Le Père Nolan (2) estimait que ces « pécheurs » faisaient près de 80 % du peuple juif...
D’autant que l’enseignement des responsables religieux d’alors présentait un Dieu à l’image des puissants du monde, connus pour être durs et méprisants pour leurs sujets.
Pour se les rendre favorables, il fallait donc les amadouer par les cadeaux les plus coûteux. C’était pareil avec Dieu. Pour qu’un berger ait une chance d’avoir un beau troupeau, il devait, au printemps, sacrifier à Dieu le premier agneau mâle du troupeau. Et pour que l’agriculteur ait une chance d’avoir une belle récolte, il devait lui brûler la première gerbe de la récolte. Dans la même optique, chacun devait sacrifier au Temple un maximum de bêtes coûteuses. Mais pour le Dieu de Jésus, c’eut été ridicule de chercher à l’amadouer (3) puisque ce Dieu est Père, un Père d’une bonté sans limite !
Ce qui envenime les choses c’est que cet enseignement, donc totalement nouveau, ne vient pas d’un célèbre docteur de la Loi. Il vient d’un homme tout simple, sans formation que ses concitoyens ont vu grandir avec les enfants du village. On le connaît, il n’a rien d’un savant. Et sa famille est de ‘chez nous’ ! On connaît sa mère, ses frères (4), ses sœurs. Tout cela a provoqué chez les gens du village un « scandale ». Comment encore croire ? Curieusement, ces mêmes personnes reconnaissent que Jésus peut quand même accomplir des « actes de puissance ». Mais ces actes ne les ont pas convaincus. Selon les évangiles (5) en effet, Jésus n’était pas seul à exercer ce genre de chose. Ces actes étaient donc incapables de compenser la gravité des propos de Jésus. Un autre élément a dû certainement jouer aussi. Et il vient de la propre famille de Jésus. (6)
Ce passage nous a menés à Capharnaüm, que Jésus a choisi comme centre de ses activités en Galilée. Il habite chez Simon. Et voilà qu’une foule se rassemble dans cette maison. Sa parenté l’apprend. C’en est trop. La famille ne reconnaît pas Jésus comme prophète ! Elle estime plutôt qu’il a perdu la tête. Il faut donc le capturer et le ramener à Nazareth ! Un peu plus loin (7), ils chercheront à l’appréhender ! Mais ses nouveaux amis empêcheront ce rapt. Au fond, tout revient à l’image qu’on se fait de Dieu. Si on se l’imagine lointain, juge implacable, puissant comme un empereur, il irait de soi que son envoyé soit de même un grand de ce monde, un prince issu de Jérusalem ou de Rome et en tout cas pas un inconnu venu d’une région méprisée...
A cet égard, combien d’œuvres artistiques n’ont-elles pas voulu suggérer la « grandeur » de Dieu ? Il restera toujours regrettable qu’au 5e siècle, pour évoquer un Dieu « maître », les autorités de l’Eglise ont cru bon de revêtir les somptueux vêtements et insignes des grands de l’empire romain. Aujourd’hui, c’est devenu ridicule et même scandaleux car les chrétiens ont appris à lire et connaître les évangiles....
(1) Voir la première mention de la Bonne Nouvelle en Marc 1, 15. C’est dans cet esprit que Jésus va sans cesse se faire proche des « maudits » d’Israël.
(2) « Jésus avant le christianisme ».
(3) D’où le manque de logique des messes et prières pour les défunts. Comme s’il allait convaincre Dieu d’être bon !
(4) Des exégètes disent qu’il faut prendre « frère » (adelfos) au sens large, comme cousin. Car en grec, il y a un mot spécifique pour « cousin » (anepsios), qui n’est pas utilisé ici...
(5) En Matthieu (17, 27) et en Luc (11, 19), où Jésus fait allusion à des exorcistes juifs.
(6) Marc 3, 21 – 21.
(7) Marc 3, 31 – 35.