Le texte. Jn 6, 24 – 35
La foule s’était aperçue que Jésus n’était pas au bord du lac, ni ses disciples non plus. Alors les gens prirent les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. » Ils lui dirent alors : « Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne. Comme dit l’Ecriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel. Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim. Celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif.
Un ami, Etienne Mayence, m’a signalé un fameux oubli : montrer le lien évident entre l’épisode du partage du pain au désert des évangiles et un passage du 2e Livre des Rois 4, 42 – 44. Le voici :
Un homme vient de Baal-Shalisha et apporta à l’homme de Dieu (le grand prophète Elisée) du pain de prémices c’est-à-dire le pain des offrandes à Dieu) : vingt pains d’orge et de blé nouveau dans un sac. Elisée dit : « Distribue-les aux gens et qu’ils mangent. » Son serviteur répondit : « Comment pourrais-je en distribuer à cent personnes ? » Il dit : « Distribue-les aux gens et qu’ils mangent ! Ainsi parle le Seigneur : ‘’On mangera et il y aura des restes’’. » Le serviteur fit la distribution en présence des gens. Ils mangèrent et il y eut des restes, selon la parole du Seigneur. (1ère des trois lectures du 17e dimanche).
HOMÉLIE
Pendant quatre dimanches de suite, à partir d’un long discours de Jésus, nous serons invités à réfléchir sur le « pain de vie ». Aujourd’hui, notre réflexion partira d’une parole de Jésus. A la question des Juifs : « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus avait répondu : « L’œuvre de Dieu c’est de croire en celui qu’il a envoyé. » En bref, à la question « Que faire ? » Jésus répond : « Croire en moi ! »
Or, c’est un fait, pour arriver à quoi que ce soit dans la vie, nous commençons quasi toujours par nous demander ce qu’il y a lieu de faire, de réaliser, de comment agir. La gratuité nous met mal à l’aise. Nous faisons partie d’un monde où, comme on dit, « on n’a rien pour rien ». Pour vraiment posséder un bien, il faut le payer, le mériter, y travailler. C’était pareil pour les interlocuteurs de Jésus.
Il se fait que la grande œuvre de Dieu c’est son Fils, qui est là, devant eux, à leur portée. Mais il y a pour eux un énorme obstacle : ils croient connaître Jésus : fils d’un charpentier et de Marie. Rien n’indique donc qu’il ait un lien privilégié avec Dieu. Aussi leur faut-il un signe, un signe qui authentifie ses propos si peu crédibles. Jadis en effet, un autre envoyé de Dieu, Moïse, avait obtenu de Dieu une nourriture miraculeuse, la manne. Ça c’était un signe ! Un vrai ! Mais Jésus ?
En fait, ce que les Juifs demandent ce n’est pas un signe mais une preuve. Ce qui tombe mal car avec Jésus il n’y a pas de preuves. Il n’y a que des signes au sens propre du mot, c’est-à-dire des indices dont l’interprétation est laissée à notre liberté. Une guérison n’est pas une preuve mais un signe. C’est dit clairement en Mc 3, 23. Les scribes, qui ne mettent pas en question la guérison, disent : « C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons. » Nul ne peut être forcé de croire comme nul ne peut être forcé d’aimer. Heureusement !
Etre impressionné par la personnalité de Jésus peut donc conduire à la foi, à voir en lui l’Envoyé de Dieu, à croire ses paroles : « Le pain de Dieu c’est celui qui descend du ciel, qui donne la vie au monde. » Mais rien ne prouve que cette parole soit vraie, et qu’en mangeant un bout de pain, l’hostie, il nous soit donné de rencontrer Jésus ressuscité. Si donc, nous participons à une eucharistie, c’est parce que nous voulons croire que Jésus ressuscité se donne à rencontrer. Dans la mesure de notre foi, parfois solide et parfois si fragile.
Heureusement que, pour rester vivant de manière sensible au milieu nous, Jésus a eu ce trait de génie d’imaginer un repas. A un repas, on est ensemble. On est invité à la joie de l’amitié et du partage. On s’y accueille fraternellement (en tout cas on essaie !), on s’encourage, on se porte les uns les autres, on porte les convictions les uns des autres. Nous prions à partir des mêmes textes, comme nous mangeons le même pain. Car, à la messe, il y a deux tables : celle de la Parole et celle du Pain.
La table de la Parole ce sont des lectures, auxquelles nous donnons un statut spécial en les appelant dans la foi « Paroles de Dieu ». Nous les accueillons ensemble, surtout avec le coeur. Et la table du pain, c’est du pain (l’essentiel d’un repas) que nous prenons, aussi ensemble. Ces deux nourritures sont là pour que, dans la foi, nous nous puissions nous imprégner de l’Esprit de Jésus. Pour, ensemble, le rendre vivant en ce monde. Surtout si nous essayons de vivre à la manière de Jésus, en travaillant à rendre ce monde plus humain. Mais « croire », heureusement, c’est déjà vouloir croire, c’est déjà commencer à croire, au moins essayer…