Le texte Marc 7, 31 – 37 (Les mots en italique sont plus proches de l’original que les mots du missel)
Jésus quitta la région de Tyr. Passant par Sidon, il prit la direction du lac de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. On lui amène un sourd parlant avec peine, et on le prie d’imposer la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, ayant craché, il lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Sois ouvert. » Ses oreilles s’ouvrirent. Aussitôt le lien de sa langue fut délié, et il parlait correctement. Alors Jésus recommanda de n’en rien dire à personne. Mais plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient. Excessivement frappés, ils disaient : « Tout ce qu’il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
L’homélie
Il m’est arrivé de rencontrer une jeune muette guérie de son mal de manière étonnante. Quand je l’ai connue, elle servait au « Petit Chemin », restaurant alternatif à Nivelles. C’est-à-dire que le service des tables y était assuré par de jeunes handicapés. Elle était arrivée là, muette. Car avant cela, chez elle, à la maison, il n’y avait que cris ou silence. On n’y parlait pas. Aussi était-elle incapable, elle aussi, de parler. Au « Petit Chemin », on lui parlait, même si au début, elle ne répondait pas... Mais un très beau jour, elle s’est risquée à répondre à une amie et elle s’est lancée. Ce beau jour-là, elle s’est retrouvée guérie de son handicap.
En écrivant ce récit, je remarque qu’il y a au moins trois traits semblables aux deux histoires. 1/ Pour guérir ce sourd, qui parlait difficilement, Jésus le prend à part. Il l’éloigne notamment de ses amis. Parce que peut-être, là aussi, l’entourage était pour quelque chose dans son handicap ... 2/ Dans aucun des deux récits, il n’y a paroles ou gestes magiques. Tout y est simple. La salive était connue pour sa valeur thérapeutique. 3/ Enfin, dans chaque récit, c’est l’amour, chez l’un, l’amour de Jésus et, chez l’autre, l’amour des responsables du Petit Chemin, c’est l’amour qui est à la source de la guérison !
En fait donc, Jésus n’impose pas la main, geste religieux, comme on l’en a prié. Et ce ne sera que lorsque la foule et les amis seront partis, qu’il agira. Il a garde de chercher le moindre spectacle comme peuvent le faire certains guérisseurs. Il met de la salive sur la langue de l’homme et il touche son oreille. Aucun spectacle donc. Quoi de plus simple. Ensuite il lève les yeux au ciel, et comme dans une sorte de prière, il soupire, donnant un ordre simple, en araméen, la langue du pays : « Sois ouvert !». La voix passive pouvant évoquer chez les Juifs l’intervention divine. Remarquons que c’est l’homme tout entier qui est invité à s’ouvrir... C’est pourquoi l’Eglise avait jadis repris cette parole dans la liturgie du Baptême.
Dans ce récit, Jésus séjourne donc à l’extérieur d’Israël. Il a quitté la région de Tyr, au Liban. Il est passé par Sidon et, prenant la direction du sud-est, il est descendu vers le lac de Galilée pour se diriger vers la Décapole. C’est un ensemble de dix (deca en grec) villes (poles en grec). Ces villes étaient fort marquées par l’hellénisme païen. Dans ses activités, de guérisons ou autres, Jésus ne fait donc pas de différence entre le monde juif et le monde païen.
Je l’ai déjà fait remarquer : Jésus ne guérit que les maux qui empêchent l’être humain d’être en relation avec autrui : ici c’est entendre et parler. Ailleurs ce sera la vue, ou la jambe, pour marcher vers, ou le bras, pour toucher. Il chasse de même la lèpre qui obligeait à vivre isolé... Il ne guérit jamais de maux comme ceux d’estomac ou de tête...
Enfin, Marc se plaît à noter la désobéissance massive et répétée de la foule. Sans scrupule, elle désobéit ouvertement... Et Jésus laisse faire. Ici, ce sont des païens qui en viennent à clamer ainsi ses louanges...
Quant aux disciples, dans ce récit et celui qui le précède, la guérison d’une jeune païenne (1), ils ont comme disparu ! Ils n’ont donc pas pu entendre le merveilleux acte de foi de la mère de la jeune fille. Il se fait que tout juste avant, Jésus avait sérieusement critiqué leur obstination à refuser de voir la différence entre la pureté selon les Juifs et la pureté selon lui (2). « Etes-vous, vous aussi sans intelligence ? » leur avait-il lancé, apparemment quelque peu excédé... Les vrais aveugles, les vrais sourds, n’étaient-ce pas en définitive ses propres disciples ? Comme aujourd’hui, devant les grandes misères de notre monde, les chrétiens ne sont pas toujours les premiers à comprendre et à réagir...
(1) Marc 7, 28.
(2) Alors que pour les Juifs ne compte que la pureté extérieure, pour Jésus, c’est la pureté du cœur...