Je n’ajouterai pas cette fois-ci une homélie mais des réflexions sur ce qui s’est probablement passé à la naissance de Jésus... Je ferai aussi ressortir ce qui, je crois, devait être le plan Luc.
Ainsi pour moi, ce texte de l’évangile se présente en quatre tableaux.
Le texte Luc 2, 1 – 19.
(1er tableau) Le monde des puissants.
En ces jours-là, parut un édit de César Auguste que le monde habité soit recensé (1). Ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et chacun allait se faire recenser dans sa ville.
(2e tableau) Le monde des pauvres.
Joseph, lui aussi, quitta la ville de Nazareth en Galilée, pour monter (2) en Judée, à la ville de David appelée Bethléem, car il était de la maison et de la descendance de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui était promise en mariage et qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, arrivèrent les jours où elle devait enfanter. Et elle enfanta son fils premier-né (3). Elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Dans les environs se trouvaient des bergers (4) qui veillaient les veilles de la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux.
(3e tableau) Le monde de Dieu si proche du monde des pauvres.
L’ange du Seigneur (5) se tint devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte, mais l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui (6), vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe (7) qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable (8) qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime. »
(4e tableau) Réponse du monde des pauvres.
Lorsque les anges eurent quitté les bergers pour le ciel, ceux-ci se disaient entre eux : « Allons certes jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, et que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent Marie et Joseph, avec le bébé couché dans une mangeoire. Après l’avoir vu, ils firent connaître la parole dite au sujet du petit enfant. Et tout le monde s’étonnait de ce que racontaient les bergers (9). Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur.
(1) Le mot recensement revient 4 fois comme pour mieux marquer le poids de l’occupation. L’objectif du recensement n’est autre que mieux taxer les régions soumises à Rome.
(2) Bethléem est située à 900 m. d’altitude et Nazareth à environ 350 m..
(3) Même si l’Eglise catholique enseigne que Jésus est fils unique de Marie, Matthieu, en 13, 35 et 36, par exemple nous parle de ses frères, Jacques, Joseph, Simon et Jude et de ses sœurs.
(4) Les bergers, à l’époque, étaient mal vus, n’allant ni à la synagogue ni au temple. De plus, ils n’hésitaient pas à chaparder un animal du troupeau voisin. Cerise sur le gâteau (si on peut dire...) ils sentaient mauvais...
(5) Nos artistes peintres ont représenté les anges. Ils nous ont ainsi induits en erreur car nul n’a jamais pu voir de tels anges. Et pourtant Dieu s’adresse aux êtres humains, je l’ai déjà dit, par d’autres êtres humains, par des événements, par la conscience. Encore faut-il être accueillant à ces messages....
(6) Luc utilise souvent ce mot. Ainsi entre autres ici, 19, 9 ; 23, 43 ; etc.
(7) Les signes de Dieu n’ont jamais rien de grandiose : à un bout de la vie de Jésus un bébé comme des millions de bébés, et à l’autre bout de sa vie un homme hurlant de douleur sur une croix...
(8) Le monde de Dieu est toujours du côté des petits, des pauvres...Mais c’est tellement difficile à accepter...
(9) Comme si les bergers expliquaient le sens de ces événements à Marie et Joseph !
Quelques réflexions sur ces événements.
Taybeh est un village de Palestine, à égale distance de Ramallah et de Jérusalem. C’est le seul village palestinien où il n’y a pas de mosquée car n’y habitent que des chrétiens. Chrétiens qui se répartissent en trois confessions : orthodoxes, melkites (catholiques de rite oriental) et latins (ou catholiques). Dans le monde, ces différentes confessions chrétiennes célèbrent la fête de Pâques à des dates différentes, car leurs calendriers diffèrent. Sauf à Taybeh ! Car là, les trois paroisses se sont mises d’accord pour célébrer Pâques à la date orthodoxe. En remerciement, les confessions non catholiques célèbrent aujourd’hui Noël le 25 décembre.... Auparavant, les orthodoxes ne fêtaient que l’Epiphanie, le 6 janvier...
La paroisse catholique dispose d’une propriété où se trouvent deux écoles (primaire et secondaire) ouvertes aux jeunes des différentes confessions chrétiennes et aux jeunes musulmans des environs, d’un dispensaire et d’une communauté de religieuses qui louent des chambres pour celles et ceux qui souhaitent faire une retraite dans le désert de Juda ( !) Le dispensaire dispose maintenant d’une maternité pouvant accueillir des naissances difficiles. Auparavant, lorsqu’on prévoyait des complications, les mamans devaient se rendre en ambulance à l’hôpital de Hadassah, à Jérusalem. Mais trop souvent les check-points se fermaient pour ces Palestiniennes. Aussi en quelques années plusieurs mamans et enfants y sont-ils morts ! D’où l’agrandissement du dispensaire de la paroisse pour éviter la répétition de cette horreur...
Mais dans le domaine de cette paroisse se trouve aussi une ancienne maison palestinienne de type rural. Et une des religieuses du couvent s’en sert pour expliquer aux pèlerins à quel type de maison, une nuit, Joseph et Marie sont venus frapper en urgence. Cette maison se présentait ainsi. Au sous-sol, une cave avec du petit bétail, chèvres et moutons, et une mangeoire. Au rez-de-chaussée, la salle commune où vivait la famille (pour y dormir, manger et vivre). Ces deux salles faisaient chacune environ 12 m² ! Enfin au-dessus de la salle commune, un petit grenier pour le foin et des réserves de nourriture....
Lisons maintenant le texte de Luc 2, 6 et 7 :
« Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où Marie devait accoucher arriva. Elle accoucha de son « fils premier-né », l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire parce qu’il n’y avait « pas de place pour eux dans la salle commune. »
Remarquons qu’il n’est nulle part question ni d’auberge, ni d’hôtellerie, ni de caravansérail et encore moins d’une étable au milieu des champs. Il n’y est question que de la salle commune d’une maison. Quand, à la fin de sa vie, Jésus va célébrer la dernière Cène à Jérusalem, Luc utilise pour ce repas le même mot « salle » dont il se sert ici pour la salle commune.
Mais surtout la religieuse ajoute une précision capitale totalement ignorée dans nos régions : l’hospitalité de ces peuples. Elle nous a répété : il faut chasser de votre tête que Marie et Joseph auraient dû frapper en vain à plusieurs portes, pour devoir finalement se contenter d’une étable en pleine campagne. Pour cette religieuse, il est évident qu’à la première porte où ils ont frappé, ils ont été accueillis à bras ouverts comme c’était la coutume. Et, vu l’état de Marie, ils ne se sont pas serrés dans la salle commune mais ils leur ont offert la meilleure salle disponible, et la plus chaude, c’est-à-dire la petite étable du sous-sol, avec la mangeoire...
Quant à une étable quelque part, au milieu des champs, l’idée vient de saint François d’Assise. Il a imaginé l’étable de Bethléem à partir des étables de Toscane. Et il y a disposé en tout cas la première fois, des personnages vivants : une femme jeune, un homme vieux (pourquoi vieux ?), un bébé, des bergers et des moutons, un bœuf et un âne. Comme en Toscane...
Et quand, le six janvier, nous fêtons l’Epiphanie, aux personnages de la crèche, nous ajoutons les « trois rois » mages, évidemment richement habillés, et leurs dromadaires. Alors que Matthieu, le seul évangéliste à raconter l’Epiphanie, n’a jamais écrit ni que les mages fussent rois, ni qu’ils fussent trois, ni qu’ils voyageaient en dromadaires, ni que leur adoration eut lieu dans une étable. Tout cela, nous le devons l’imagination de saint François qui vécut au XIIIe siècle ! Quant à leurs « riches » cadeaux, Matthieu s’abstient de parler de la quantité de l’or, de l’encens et de la myrrhe...
Par ailleurs, la date du 25 décembre est aussi pure imagination. Les chrétiens n’ayant jamais su à quel moment de l’année Jésus était né, ils ont choisi la date de la fête romaine du solstice d’hiver, le « Sol Invictus » ou Soleil invaincu, c’est-à-dire le moment où, dans notre hémisphère nord, la lumière l’emporte peu à peu sur la nuit. A ce moment en effet, les jours recommencent à allonger.
Quant à l’année de la naissance, un moine du 4e siècle a essayé de la calculer à partir de la date de la fondation de l’empire romain. Mais il s’est trompé de plusieurs années. Luc écrit en effet au chapitre 1, verset 5, « au temps du roi Hérode ». Or, selon les historiens Hérode est décédé quatre ans avant notre ère...
Mais une chose est certaine, le 18 décembre 1954, j’ai été ordonné prêtre, à Malines...