7ème dimanche ordinaire

Nous n’avons pas retrouvé d’homélie d’Henri Weber pour ce dimanche. J’ai, pour cette fois, pris la liberté d’afficher celle trouvée sur le site ‘Homélies en Prison’. Je crois qu’elle est conforme à l’esprit d’Henri et a sa place sur ce site.

Le texte          Luc 6, 27 – 38

Jésus déclarait à la foule: «Je vous le dis, à vous qui m’écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre. À celui qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique. Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas à celui qui te vole. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez quand vous êtes sûrs qu’on vous rendra, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
«Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Dieu très haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et vous recevrez une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous.»

L’homélie

Quand on entend cet évangile, on a l’impression de recevoir un coup à l’estomac. On en reste sonnés comme un boxeur à terre. Et puis, on tâche d’évacuer la douleur en se disant que c’est un beau texte littéraire, avec de belles formules et des images fortes. Ou encore que c’est là un idéal accessible aux seuls grands saints comme François d’Assise ou d’autres.

Et pourtant, le texte de Luc dit clairement que Jésus s’adressait à une "foule immense de gens" (6, 17), au "peuple" (7,1) et non seulement au petit groupe de ses disciples, à une élite. Ces paroles rudes sont pour tous et toutes. Donc pour nous.

Et si ces paroles sont pour tous, c’est qu’elles sont pleines de sagesse humaine, indépendamment de tout aspect religieux ou chrétien : "Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux". Cette prescription se retrouve fréquemment dans le Judaïsme du temps de Jésus ; ainsi : "Ce que tu ne veux pas qu’il t’arrive à toi, à ton prochain tu ne le feras pas". Mais vous remarquez que cette sentence a une forme négative : "Ce que tu ne veux pas… tu ne le feras pas", alors que la phrase mise par Luc dans la bouche de Jésus est positive : "Ce que vous voulez… faites-le aussi…". Changement de perspective. On n'est plus dans les dangers et risques à éviter, on n’est plus dans la prévention de gestes et d’actes d’agression, comme si toutes les relations humaines consistaient à se protéger et à éviter les heurts avec les autres. Avec l’évangile, on est dans le positif, dans la relation fraternelle. Une fraternité initiale, à priori, pour laquelle l’autre n’est pas d’abord l’ennemi dont il faut se protéger mais un partenaire, quelqu’un avec qui entrer en relation. Il s’agit de faire quelque chose pour autrui et non d’éviter de faire.

Mais avec cette prescription, qu’on appelle habituellement la "Règle d’Or", on n'est pas encore au cœur de l’évangile. En effet, il y a quelque chose qui pourrait pencher du côté de l’égoïsme dans ce "Faites à autrui ce que vous voulez qu’on vous fasse". Comme si j’avais intérêt à être bon et aimable avec les autres pour qu’ils le soient à leur tour à mon égard. Une sorte de donnant donnant. Mais pourquoi le nier ? Quand je rends service aux autres, c’est que ça me sert à moi aussi. J’y ai intérêt, j’y trouve mon compte. Ne serait-ce qu’en me valorisant à mes propres yeux. - Mais même imparfaite, vous imaginez ce que la réelle mise en œuvre de cette Règle d’Or donnerait dans les relations internationales, que ce soit en Israël et Palestine ou du côté de l’Irak et de l’Afghanistan. De même dans les relations sociales, dans les conflits entre patronat et syndicats. Ou dans le fonctionnement de la Justice et de cette maison. Ce serait un monde autre, où il n’y aurait plus besoin des Restos du Cœur, de Médecins du Monde et du Secours Catholique.

Mais Jésus va plus loin que cela. Si loin qu’on a peine à l’entendre et à le suivre. "Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… Alors, vous serez les fils du Dieu très haut". Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il met la barre assez haute ! Cela semble un idéal inaccessible : comment pourrions-nous pardonner à la hauteur de Dieu, avoir le cœur bon et miséricordieux comme lui ? Nous le savons bien : nous en sommes loin ! Et pourtant, en même temps, nous sentons aussi en nous quelque chose d’infini, quelque chose comme un appel à aller toujours plus loin, quelque chose comme un appel d’air où passe déjà le Souffle Saint du Dieu miséricordieux. Alors, tout à coup, l’appel de Jésus à être comme notre Père ne nous paraît pas quelque chose d’insensé. C’est au contraire un chemin qui s’ouvre à nous et s’offre notre exploration, une invitation à suivre la trace de Dieu en nous qui sommes faits à son image. Cette parole de Jésus est une parole que nous jetons devant nous pour qu’elle nous tire en avant et hors de nous.

Et c’est dans cette lumière donnée comme horizon à notre vie que nous pouvons entendre et peut-être accepter les rudes paroles de Jésus : "Aimez vos ennemis, souhaitez du bien à qui vous maudit, ne réclame pas à qui te vole, etc.".

A première vue, tout cela est une douce utopie si ce n’est un pur non-sens. Au fait, Jésus lui-même a-t-il pratiqué ses propres consignes ? Une chose est sûre : il n’a pas tendu l’autre joue pour recevoir d’autres gifles lors de son procès. Plus encore : l’évangile de Jean, en plusieurs endroits, le montre qui s’enfuit et se cache quand l’agressivité contre lui devient trop forte. Ce n’est pas un naïf et il a fallu une trahison pour que ses ennemis arrivent à le saisir. Alors, que veut-il dire quand il donne la consigne d’aimer ses ennemis ?

Et d’abord, avons-nous des ennemis ? Des gens qui en veulent à nos vies, non sans doute. Mais des gens qui nous ont fait ou qui nous font du mal, volontairement parfois, qui nous détruisent par leurs actes ou leurs paroles, oui bien sûr. Des exemples ? Ce peut être une grand-mère étouffante qui enserre de son affection débordante le petit-fils qui vient remplacer son propre fils mort dont elle n’arrive pas à faire le deuil. Ce peut être un père alcoolique qui rend la vie impossible aux siens et saccage l’enfance de ses fils. Ce peut être des frères et sœurs à propos d’une histoire d’héritage. Ou le directeur de l’entreprise qui ne connaît que le mépris pour ses subordonnés. Dans cette maison, ce sera celui qui colporte médisance et ragots sur votre compte, celui qui tente de vous asservir à la loi du plus fort ou à celle du nombre. Chacun pourrait poursuivre cette liste. Et il faut bien l’avouer, parfois on a envie de sauter à la gorge de cet ennemi, envie de le détruire. - La première démarche à faire pour aller dans le sens de l’évangile, c’est peut-être d’accepter d’être comme nous sommes, d’accepter nos envies de vengeance et de violence pour régler leur compte à nos ennemis. Reconnaître face à l’évangile : voilà comme je suis, loin de la miséricorde pour mon ennemi. Pour l’instant.

Ensuite pourra s’ouvrir un chemin qu’il faut bien appeler chemin de conversion.

Aimer son ennemi, ce sera d’abord et avant tout le respecter. Ce qui peut vouloir dire s’affronter à lui, lui résister, ne pas se laisser faire. Mais dans tous les cas, ne pas entrer dans le cercle infini de la violence destructrice, qu’elle soit physique ou orale. Détruire et humilier l’ennemi, c’est l’enfermer dans sa haine et sa violence, lesquelles ressurgiront un jour. C’est ce qui s’est passé à la fin de la guerre en 1918 vis-à-vis de l’Allemagne.

Aimer son ennemi, c’est travailler à changer le regard qu’on porte sur lui. Ne pas voir en lui qu’un ennemi à abattre. Il est, certes, menteur, voleur, violent et bien d’autres choses encore. Mais il n’est pas que cela. C’est comme pour nous : il n’est pas que méchanceté, il ne se confond pas avec le mal qu’il fait. Il faut, envers et contre tout, maintenir en soi la conviction que cet ennemi peut changer et évoluer vers le meilleur de lui-même. Evidemment, on est ici au-delà du sentiment et de l’émotion. On est dans le monde de la raison qui décide et de la conviction qui s’affirme contre vents et marées. On est proche de la foi dans laquelle cette conviction prend racine.

Aimer son ennemi, c’est le confier à Dieu. Prier pour lui, pour qu’il change et quitte le monde de la haine. Réfléchir avec d’autres chrétiens, en Eglise, en équipe, pour s’ouvrir soi-même à l’évangile, pour se convertir soi-même et peu à peu voir en tout homme, en mon ennemi aussi, un "fils du Dieu très haut" comme dit notre texte d’aujourd’hui.

Vous le comprenez et vous le saviez d’avance, ce passage de l’évangile de Luc que nous avons lu ne nous donne pas de consigne précise, il ne fournit aucune recette pour régler nos problèmes avec nos ennemis, petits ou grands. Mais il montre une direction, il offre une lumière dans la nuit de la violence et de la haine. Et surtout, il montre Jésus qui, finalement, est le seul qui ait su aimer au-delà de toute haine.

Pour terminer, permettez--moi une histoire. Un roi envoya un jour son meilleur général et son armée pour anéantir son ennemi menaçant aux frontières… Après des mois sans nouvelles de ses troupes, le roi décida d’aller lui-même sur place pour se rendre compte de ce qui s’était passé. En arrivant, il découvrit son armée fraternisant et festoyant joyeusement avec les forces adverses. "Tu n’as pas accompli ta mission, dit-il à son général, je t’avais envoyé anéantir mon ennemi ! – C’est ce que j’ai fait, répondit le général, j’ai réussi à en faire un ami !". (revue Signes n°170)

Contactez-nous

N'hésitez pas à nous contacter pour tout renseignement complémentaire.

Note: vos informations ne sont pas conservées sur le site web et ne seront utilisées que dans le cadre de la réponse à votre demande.

Nous utilisons des cookies sur notre site web. Certains d’entre eux sont essentiels au fonctionnement du site et d’autres nous aident à améliorer ce site et l’expérience utilisateur (cookies traceurs). Vous pouvez décider vous-même si vous autorisez ou non ces cookies. Merci de noter que, si vous les rejetez, vous risquez de ne pas pouvoir utiliser l’ensemble des fonctionnalités du site.

Ok