Le texte. Matthieu 5, 1 - 12. (Le texte en italique est plus proche du texte original que le missel.)
Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s’assit et ses disciples s’approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait :
« Heureux (1) les pauvres par l’esprit (2) : le Royaume des cieux est à eux !
Heureux les affligés : ils seront consolés !
Heureux les doux (3) : ils obtiendront la terre !
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice (4) : ils seront rassasiés !
Heureux les miséricordieux (5) : ils obtiendront miséricorde !
Heureux les cœurs purs (6) : ils verront Dieu !
Heureux les artisans de paix (7) : ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice (8) : le Royaume des cieux est à eux !
Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! »
(1) Heureux : la Bible Bayard traduit par « joie ». Joie de ceux qui sont à bout de souffle : le Royaume des cieux est à eux ! Joie des affligés… etc
(2) En grec, le même mot (pneuma) traduit : vent, souffle, esprit. On peut donc traduire cette parole par : les « à bout de souffle ».
(3) Cela revient pratiquement à désigner ceux qui n’ont pas voix au chapitre.
(4) La justice c’est ce qui fonde et entretient une vie profondément humaine. La justice vient de Dieu. Ceux qui en ont faim et soif sont ceux qui désirent ardemment vivre dans l’harmonie, ou aspirent au Royaume des cieux et y travaillent.
(5) C’est-à-dire ceux qui ont une compassion active envers ceux qui souffrent.
(6) Le coeur pur est la personne qui n’a qu’une parole. On peut donc s’appuyer sur elle en toute confiance.
(7) La paix c’est ce qui caractérise le Royaume des cieux : une harmonie profonde avec soi, avec autrui, avec Dieu, avec la nature. C’est LE bien messianique.
(8) Vouloir un monde juste demande de lutter contre ceux qui s’y opposent et qui, la plupart du temps, sont les plus forts.
L’homélie
Quand l'autorité de l’Église déclare sainte une personne, la « béatifie » ou la « canonise » (1), elle met en route un véritable « procès » qui juge de ce qu’elle considère comme la sainteté de leur vie. Ainsi, ont, par exemple, été béatifiés les pères Charles de Foucauld et Damien. Autant ces deux béatifications me réjouissent autant je cale devant la béatification d’un pape récent ou du fondateur de l’Opus Dei. Il y manque pour moi le temps nécessaire pour qu’il y ait eu l’accord unanime des évêques et la sérénité. De plus, il se fait que les canonisations ont surtout concerné religieuses, religieux, prêtres, évêques, papes. C’est grave. Non qu’ils n'aient pas mérité leur canonisation (qui suis-je pour juger ?), mais grave parce que cela peut faire croire que les meilleurs chrétiens sont religieux, prêtres et surtout évêques. Ce qui visiblement n'est pas le cas…
Le nom de la fête « Tous Saints » est en tout cas très clair. La sainteté est en effet pur don de Dieu, don qu'il offre à quiconque. Personne n'est saint parce qu'il l'aurait mérité. Dieu seul rend saint et son amour n'a pas de limites. Un saint n'est donc rien d'autre que, mais il est tout cela, un pécheur pardonné. Ce qui, par parenthèses, nous donne toutes nos chances.
Ceci dit, abordons l'évangile. Curieusement le sujet n'en est pas la sainteté mais le bonheur, la béatitude. Et il y est question de bonheur ici-bas. Les béatitudes expriment en effet la joie qu’éprouva Jésus en Galilée devant celles et ceux qu'il a « vus » heureux. Et il a vu deux catégories d'heureux. D'abord celles et ceux qui vivent des situations pénibles : les pauvres, les méprisés, les affligés. Ce qui les rend heureux ce ne sont évidemment pas leurs malheurs, comme on ne l'a que trop prêché, mais le fait que pour s'en sortir, ils sont poussés à faire appel à autrui, à Dieu. Ils ne sont pas meilleurs que les riches mais leur vie leur donne plus qu'aux autres de constater que pour être heureux il est bon d’avoir de vrais amis. En d'autres mots, comme le dit Jésus, ils sont déjà dans le Royaume des Cieux, c'est-à-dire proches de Dieu.
Il y a ensuite, c'est la deuxième catégorie, celles et ceux qui sont heureux déjà en ce monde-ci, les uns parce que leur cœur les pousse à aller vers ceux qui souffrent, d'autres parce qu'on peut compter sur eux (les « cœurs purs »), d'autres encore parce qu'ils sèment la paix, envers et contre tout, jusqu’au martyre. Comme le montre si bien le film « Des dieux et des hommes ». Eux non plus ne sont pas meilleurs que les autres, le film le montre bien, mais tout naturellement ils se font proches de celles et ceux qui souffrent. Du coup, ils sont proches de Dieu. Eux aussi sont déjà dans le Royaume.
En saint Luc (chapitre 6), Jésus parle aussi de celles et ceux qu'il a vus malheureux. Et il se lamente : « Hélas pour vous, les riches ! » dit-il. Pourquoi « hélas » ? Parce que les gens riches, qu'ils soient riches d'argent, de qualités, de vertus ou d'intelligence, ces gens croiront facilement qu'il leur est possible d'être heureux tout seuls. Sans l'aide de quiconque. Pour Jésus, ils se trompent. Leur malheur c'est leur suffisance.
Répétons-le : nul n'est « saint » à cause de ses mérites. La sainteté est un don gratuit de Dieu. La sainteté est pure grâce. Quant à être heureux ici-bas, Jésus affirme que l'argent est trompeur, même s'il en faut pour vivre. Pour Jésus être heureux vient d'abord de la qualité de nos liens avec autrui. Car c'est dans les relations vraies que jaillit le Royaume de Dieu, là où se vit la proximité de Dieu. Quelles que soient les convictions d'ailleurs.
(1) Habituellement la béatification est un pas qui précède la canonisation.