Fête du Corps et du Sang (6) du Christ (Jean 6, 51 – 58)
Le texte. (Les mots en italique sont plus près de l’original que ceux du missel)
Après avoir nourri la foule avec cinq pains et deux poissons, Jésus disait : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement (1). Le pain que je donnerai, c’est ma chair (2), donnée pour que le monde ait la vie. » Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang (3), vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mâche (4) ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. Et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mâche ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mâchera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé (5). Eux, ils sont morts. Celui qui mâche ce pain vivra éternellement. »
Un peu de vocabulaire et d'histoire.
(1) Pour le Sémite, ce qui est éternel c’est ce qui participe à la plénitude de Dieu. Donc ‘il vivra éternellement’ ne veut pas nécessairement dire il vivra toujours mais plutôt : il vivra pleinement de Dieu, dès ici-bas !
(2) De même pour le Sémite, la chair ou le corps ne signifient pas X kilos d’os, de chair et de muscles mais toute la personne, avec son esprit, ses sentiments, son cœur, son histoire.
(3) Le sang c’est la vie et la vie est à Dieu.
(4) Mâcher, quel mot concret ! Pour Jésus, il ne s’agit donc pas d’avaler une hostie mais de mâcher du pain, le mastiquer à pleines dents !
(5) C’est-à-dire la manne, de petites boules résineuses.
(6) Cette fête a porté successivement plusieurs noms : 1/ Fête-Dieu (avec la procession du Saint Sacrement le long des rues de la paroisse), 2/ Fête du Saint Sacrement, 3/ Fête du Corps et du Sang du Christ. Il est évident que le Concile Vatican II est passé par là, en rendant toute sa place au ‘repas’ au détriment de l’aspect ‘adoration’. D’ailleurs, ce qui était mis en valeur, au fond du chœur, l’autel du « sacrifice », disait-on, est depuis présenté comme la table du repas ! Tout repas étant, en principe, lieu de communion...
L’homélie.
Voici quelques réflexions sur ce texte si dense. Comme je l’ai déjà signalé, il est normal qu’en deux mille ans le sens de bien des mots ait changé. Comme le sens de gestes. D’où mon petit bout de vocabulaire. Ainsi quand Jésus dit : « Ceci est mon corps », nous sommes invités à comprendre : Ceci, ce morceau de pain brisé que je vous présente, c'est ‘moi’. Moi, Jésus, qui ai vécu avec vous, qui ai agi, guéri, prêché, moi qui ai mené une longue lutte pour que nul ne soit plus méprisé, moi qui suis, à cause de cela, sur le point d'être brisé, assassiné. Depuis la Résurrection, nous ajoutons, puisque nous croyons que Christ est ressuscité : ce morceau de pain c'est ce Jésus qui est passé de la mort à la vie, aujourd’hui dans la gloire du Père.
Et quand le prêtre ajoute : « Prenez et mangez » et « Prenez et buvez », il invite les chrétiens à manger le morceau de pain et à boire à la coupe de vin pour ainsi s'associer pleinement, esprit et corps, à la personne de Jésus, mort et ressuscité. Manger et boire sont essentiels car ils permettent à notre acte de foi de s’approfondir en s’exprimant par tout notre être, dont notre corps. Et dire que tant de chrétiens ont un jour cessé de communier et, à la place, ont contemplé, adoré ! Comme si Jésus avait dit : ‘Voici mon corps ! Surtout n’y touchez pas !
Jésus dit aussi : « ceci est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie », c’est-à-dire : ‘c’est moi, Jésus, qui me donne pour que vous viviez’. Ceci demande absolument une précision. On a longtemps compris que Jésus avait offert sa vie au Père comme les prêtres du premier testament offraient à Dieu des animaux. Ce qui souvent était un geste plutôt ‘intéressé’. Ils espéraient ainsi se rendre Dieu favorable et en recevoir ses bénédictions ! Qu’il rende leurs récoltes plus belles, qu’il multiplie leur bétail, ou encore qu’il écrase leurs ennemis. Ainsi au temple, que de sacrifices coûteux pour obtenir les faveurs de Dieu ! Ce qui d’ailleurs donnait des revenus plantureux aux grands prêtres. Une telle attitude est restée ancrée chez bien des chrétiens et même dans leur hiérarchie. Ainsi combien n’hésitent pas à organiser des prières pour obtenir une victoire ou pour que cessent la pluie ou la sécheresse ! Qui n’a jamais vu, au moins en images, un évêque bénissant des chars et des canons !
J’insiste là-dessus cela pour mieux faire comprendre que la mort de Jésus « qui s’est livré pour nous » n’a rien à voir avec ces coutumes ! Bien au contraire ! Les évangiles nous montrent à toutes leurs pages que c’est par toute sa vie, par ses paroles et surtout ses actions, dont les repas, (si étrangement absentes du credo !), que Jésus nous a montré un chemin de vie pour que (sur)vive notre humanité. Un chemin de vie bâti sur l’amour et le respect de l’autre, sur le refus de toute violence, le pardon, etc. dans le but de créer une humanité nouvelle, faite de relations d’amour, de justice et de paix. Ce qu’il appellera le « Royaume de Dieu ». Jésus a pris ce chemin quoiqu’il puisse lui en coûter car pour lui c’était la seule route qui rendrait notre monde viable et surtout attentif à nos sœurs et frères « petits », pauvres, démunis....
Ainsi, comprenons-nous mieux la parole de Jésus à la dernière Cène quand il présente le morceau de pain à chacun : « ceci, ce pain brisé, est mon corps » c’est-à-dire : ‘ceci c’est moi qui suis prêt à ce que ma vie soit donnée, brisée’.
Jésus nous redit donc aujourd'hui par la bouche du prêtre : « Prenez et mangez » et « Prenez et buvez ». Par les gestes très concrets de manger et de boire, Jésus nous invite donc à devenir ce qu'il fut et ce qu’il est. Non pour ‘amadouer Dieu’, (quelle horreur !) mais afin d’agir aujourd’hui comme il le fit toute sa vie : rendre ce monde meilleur, plus juste, fraternel. Oui, rappelons-le : communier c'est prendre un engagement. L'engagement de vivre comme Jésus. Mais communier c'est aussi recevoir sa force, cette force qui nous est bien nécessaire.