Le texte Marc 1, 40 – 46 (Les expressions et mots en italique sont plus près de l’original que dans le missel)
Un lépreux s’approche de Jésus. Il le supplie et tombe à genoux en lui disant : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même, Jésus étendit la main et le toucha. Il lui dit : « Je le veux, sois purifié. » Aussitôt, la lèpre le quitta et il fut purifié. S’irritant contre lui, Jésus le chassa aussitôt dehors. Il lui dit : « Garde-toi de rien dire à personne, mais va te montrer au prêtre et apport-leur pour ta purification ce que Moïse a prescrit : ils auront là un témoignage. » Mais une fois parti, il se mit à proclamer bien haut et à répandre la nouvelle, si bien que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais qu’il restait dehors en des endroits déserts. Et l’on venait à lui de toute part.
L’homélie
La lèpre, comme toute maladie de la peau, provoquait à l’époque un statut social particulier. Un tel malade ne pouvait être qu’impur et contagieux, et donc pécheur, visiblement maudit de Dieu ! Le lépreux était interdit de partout et bien sûr au temple et à la synagogue. Personne ne pouvait même laisser un lépreux s’approcher de lui. Dès lors le toucher était une faute gravissime, rendant l’auteur de cet acte automatiquement impur, pécheur et maudit de Dieu à son tour ! Oui, les lépreux étaient mis au ban de la société. Il était prévu pourtant que les Juifs en bonne santé leur donnent quand même à manger. Mais de loin, leur lançant la nourriture.
C’est ici l’unique fois où Marc met Jésus en présence d’un lépreux (1). Mais habituellement c’est l’entourage du malade qui s’adresse à Jésus. Ici c’est le lépreux même qui fait la démarche. Mais au fond, le lépreux ne lui demande explicitement rien. Il dit plutôt sa foi en Jésus qui, s’il le voulait, pourrait le purifier ! Cette foi bouleverse Jésus aux entrailles. Et le récit bascule. Il prend donc l’initiative de « chasser la lèpre », comme il chasse les démons. Mais il a laissé le lépreux s’approcher de lui et il l’a touché de la main. L’homme se trouve aussitôt purifié. Mais, ce faisant, Jésus avait gravement transgressé la Loi à deux reprises : laisser le lépreux s’approcher de lui et le toucher de la main. Il aurait dû le chasser !
Jésus a donc un geste de communion avec cet homme impur ! Pour lui la Loi est évidemment importante mais elle n’est pas essentielle. C’est ce en quoi son enseignement se distingue de celui de l’autorité. Pour lui, c’est évident, l’essentiel est de se faire proche du « pauvre », du « petit », du « pécheur ». Pour lui d’ailleurs, aucune loi n’a un caractère d’absolu. Seul l’Autre a ce caractère et donc toute femme, tout homme.
Que le lépreux soit purifié ne signifie pas seulement qu’il ait à nouveau la peau saine, qu’il soit donc guéri. Cela a aussi comme conséquence que, désormais, notre homme a le droit de réintégrer la vie sociale. Ce qui lui était interdit depuis peut-être des années, il a maintenant le droit le faire : entrer en relation avec autrui, reprendre sa place dans la société. D’une certaine façon aussi la société est donc guérie puisqu’elle s’enrichit d’un nouveau membre.
Mais ce qui étonne, ce sur quoi les exégètes ont émis de multiples hypothèses et qui fait basculer une seconde fois le récit, c’est la subite colère de Jésus. Littéralement, « il jette le lépreux dehors ». Peut-être est-ce parce qu’il se rend compte maintenant que son contact avec le lépreux le coupera désormais de toutes et de tous. Toujours est-il qu’il donne au lépreux deux ordres contradictoires : n’en parler à personne et aller se montrer aux prêtres.
Mais l’homme guéri ne tient aucun compte de ces deux ordres et il se met à répandre la nouvelle. Il en arrive ainsi à intervertir les rôles entre Jésus et lui. Celui qui maintenant devra se tenir à l’écart, ce sera Jésus, considéré désormais comme impur ! De toute manière, il continuera à refuser tout succès de foule, l’essentiel pour lui, je le répète encore, étant d'annoncer, de village en village, la Bonne Nouvelle que Dieu est notre Père à toutes et à tous. En son nom, il continuera donc à se faire proche de quiconque et prioritairement des exclus, des rejetés, des pécheurs, et de le faire par la parole et par le geste. Et de se faire ainsi beaucoup d’ennemis. Ce sera là toute sa (courte) vie.
(1) Sauf sa rencontre avec Simon le lépreux en 14, 3.