Le texte. Luc 9, 11 - 17
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. »
Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. »
Il y avait environ cinq mille hommes.
Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde.
Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule.
Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.
L’homélie Quand les évangélistes racontent le récit de la multiplication des pains, ce n'est certainement pas pour nous faire admirer un geste spectaculaire de Jésus mais bien plutôt pour nous aider à mieux vivre nos messes. Un indice. Dans le récit, les disciples demandent à Jésus, le soir, de "renvoyer les foules". Jésus leur répond : "Donnez-leur vous-mêmes à manger". En d'autres mots : partagez vos quelques pains, partagez votre pauvreté. Cela rejoint la lettre de saint Paul aux Corinthiens, où, juste avant le texte d'aujourd'hui, il leur a reproché de négliger l'esprit de partage qui doit caractériser une eucharistie. Pour bien comprendre ce reproche, rappelons-nous deux points.
1/ Jusqu'à la fin du premier siècle, la messe commençait par un repas qui se prenait ensemble, chacun apportant sa part.
2/ Dans la paroisse de Corinthe, l'éventail social des chrétiens allait des ouvriers du port et des esclaves jusqu'à des personnes riches et aisées. Le reproche de Paul vise leur conduite à la messe (1 Co 11, 23-26) : au lieu de prendre le repas ensemble, ils le prennent séparément, les riches, d'un côté, qui s'empiffrent, dit-il, et les pauvres de l'autre. Aussi, conclut saint Paul, vos messes ne sont plus des messes ! Il y a trop d'égoïsme, trop d'esprit de classe. N'est-ce pas en effet oublier qu'à la dernière Cène, Jésus s'est offert pour toutes et pour tous, qu'il y a été signe de l'alliance de Dieu avec toute l'humanité ? Pour saint Paul, c'est clair, on ne fait pas mémoire de Jésus et de sa mort n'importe comment !
Pour mieux comprendre l'esprit de la dernière Cène, il importe de rappeler les choix et les luttes de Jésus. Depuis longtemps, il déplorait que les autorités religieuses aient travesti l'image de notre Dieu. Elles en avaient fait un Dieu sévère et intransigeant, un Dieu qu'on ne pouvait servir que par un culte tatillon qui imposait, par exemple, de calculer ses pas le jour du sabbat. Jésus travaillera sans relâche à faire connaître à son peuple le vrai visage de Dieu. Pour cela, il dut mener contre la religion officielle un dur combat, un combat non violent mais qui lui coûta la vie.
Comme Jésus se rendait de plus en plus compte que les autorités voulaient en finir avec lui et que sa fin était donc proche, il pensa devoir se dépêcher de donner à ses disciples une ultime formation pour qu'ils puissent continuer sa lutte. Il choisit de la faire à l'occasion du repas de la fête de la Pâque juive qui approchait. Voyons de près le sens des paroles que Jésus y tint.
"Ceci est mon corps", signifie dans notre langage actuel : ceci c'est moi, moi avec tout ce que j'ai fait, avec tout ce que je suis, moi dont la vie va être brisée comme ce pain. Et : "Ceci est la coupe de mon sang", veut dire dans notre langage actuel : ceci c'est moi dont le sang va couler. Par ces paroles et ces gestes, Jésus manifeste qu'il se donne tout entier, au nom de Dieu. Et enfin les paroles : "Prenez et mangez" et "Prenez et buvez-en tous" sont une invitation à s'unir étroitement à sa personne et au don qu'elle fait d'elle-même. Que nous ayons la même vie et les mêmes engagements que lui au service de Dieu et du peuple. Que chaque être humain se sache donc aimé de Dieu. Quant aux paroles : "Faites ceci en mémoire de moi", elles ne visent pas d'abord de répéter des rites mais bien plutôt de, comme Jésus, nous mettre au service des autres. Dieu est amour. Cette bonne nouvelle ne peut se manifester que par notre manière d'être et d'agir.
C'est d'ailleurs le sens du mot "messe". Messe vient du latin : "être envoyé". Le repas de la messe est donc ce moment privilégié où nous entrons en relation étroite, intime, avec le Christ vivant. Et cela pour, comme lui, être envoyés au service des déshérités. Revoilà donc l'idée essentielle du partage. Partage proposé par Jésus à ses disciples à la multiplication des pains et par saint Paul aux chrétiens de Corinthe pour que leurs messes soient vraies.